C’était au temps du Commissaire européen en charge de l’agriculture Frans Andriessen, un néerlandais, une grosse pointure : ancien Ministre des Finances de son pays, à la fois francophile : marié à une française et très représentatif d’une approche tournée vers le marché (il sera ensuite commissaire en charge des négociations multilatérales GATT lorsque Ray Mac Sharry l’Irlandais lui succédera). La FNSEA venait d’élire à la suite de François Guillaume devenu Ministre de l’Agriculture, un pape de transition, Raymond Lacombe, dernier représentant de la génération des dirigeants agricoles formés par la JAC. Le Ministre en poste Henri Nallet, qui avait fait un séjour à la FNSEA avant d’en être viré par Michel Debatisse pour « déviationnisme » entretenait avec Raymond Lacombe des relations d’amitiés. Le département de l’Aveyron, dont les similitudes sur le plan sociologique sont grandes avec la Vendée, était une pépinière de dirigeants agricoles : Marcel Bruel pour la Fédération Bovine, André Laur présidait la MSA, Michel Fau était un ex-président du CNJA (José Bové, sur son Larzac n’étant pas considéré comme aveyronnais). Pour Raymond, son département c’était l'alliance réussie entre une agriculture modernisée, à statut familial, et une belle entreprise tournée vers le marché : la Société des Caves de Roquefort qui détenait autour de 80% de la production.
Dans les couloirs de Bruxelles les eurocrates commençaient à susurrer les premières notes de la future Réforme de la PAC nécessaire pour clore le cycle de l’Uruguay Round engagé par François Guillaume et Michel Noir. Notre Raymond sentait le vent du boulet. Il était horrifié par le détricotage des OCM qui allait détruire le fragile équilibre des zones intermédiaires ou à handicaps. Lors des rencontres avec Henri il lui vendit l’idée de montrer au Commissaire Andriessen la réalité de l’agriculture aveyronnaise, donc d’organiser un déplacement allant en ce sens. Ce qui fut fait. Comme je m’occupais du dossier des relations avec les OPA, et que notre cher Henri avait d’autres chats à fouetter que d’aller se balader chez Raymond (un Ministre de l’Agriculture en déplacement dans un département doit se taper le rituel des réunions avec les représentants de toutes les corporations d’agriculteurs, et parfois des manifs), je fus commis d’office pour accompagner ce cher Frans flanqué des eurocrates de service tout heureux d’aller respirer le bon air de l’Aveyron.
L’excursion pris une forme cocasse : comme nous étions nombreux la virée campagnarde se fit en autocar, un autocar précédé de motards car, outre les invités européens, nous avions droit au préfet en uniforme, à toute la brochette des présidents, des élus et bien sûr des journalistes. L’ambiance était bon enfant. Marcel Bruel tenait le micro et ce n’était pas un homme à semer l’ennui. Nous fîmes donc notre petite virée bien préparée par les hommes de Raymond Lacombe. Quand vint l’heure du déjeuner, nous étions sur les magnifiques estives, nous nous rendîmes dans un buron où l’on tirait l’aligot traditionnel dans une grande jatte en bois avec une pelle en bois. Le commissaire se soumit de bonne grâce au rituel sous le crépitement des flashs. Nous passâmes ensuite à table. Tout le monde mangea de bon appétit. Le Marcillac coulait à flots et déliaient les langues. Quel spectacle que de voir assis côte à côte, et devisant dans notre belle langue, que le monde entier nous envie, le blond Andriessen dont les joues s’empourpraient et notre Raymond dont les yeux, derrière ses grosses lunettes d’écailles pétillaient de plaisir. Assis face à eux, pour une fois libéré de mes soucis quotidiens je ne pouvais m’empêcher de penser que si nous construisions l’Europe avec un peu plus de chair, de convivialité, au lieu de nous contenter d’en faire une boite noire dans laquelle nous nous défaussions de tous les sujets qui fâchent, le citoyen lambda en aurait une image bien plus positive.
Dans mon énumération des grands présidents de l’Aveyron j’ai omis le plus discret mais sans aucun doute l’un des hommes qui a le mieux pensé et mis en œuvre les principes de l’AOC, je veux parler d’André Valadier, l’homme du renouveau du Laguiole et président de la coopérative laitière « Jeune Montagne ». Souriant, pondéré, passionné de son pays, de ses Aubrac, cultivé, lorsque vint le moment de nommer le nouveau Président du Comité produits laitiers de l’INAO que nous venions de réformer en 1990, je n’eux aucun mal à convaincre mon Ministre de le nommer. L’homme était Conseiller Régional centriste, donc opposant de Martin Malvy président de la région et grand ami de Louis Mermaz. Normal me direz-vous, oui mais pas forcément la règle dans notre belle République. Bien plus tard, un week-end, en toute discrétion nous sommes allés, à quelques-uns, avec lui, manger chez Germaine à Aubrac. C’est moins chic que chez Michel Bras mais j’y fus fait chevalier de l’aligot (un jour sans doute vous aurez droit à une chronique) Pour ce qui concerne la nourriture et le gîte, à l’attention des enfants des écoles je donne de courtes définitions :
- Burons : habitat temporaire des hauts pâturages d’Auvergne et du Rouergue qui sert à abriter les bergers et le bétail pendant leur séjour de juin à septembre sur les estives. Dans le buron, outre le logement du fromager, il y avait une pièce à feu pour la préparation du fromage, une cave pour sa conservation, une étable pour les veaux, une loge pour les porcs nourris avec le petit lait.
- L’Aligot : C’est un mélange de purée de pommes de terre et de tomme fraîche de Laguiole qu’il faut travailler et retravailler : tirer ou filer l’aligot pour obtenir une texture lisse. C’est la spécialité du Nord-Aveyron. Comme le disait André Valadier : « l’aligot ne tient pas seulement au ventre mais en sympathie » Plat de résistance des paysans l’aligot est maintenant un plat de fête.
Le Marcillac : www.aveyron.com/gastro/vin_marcillac.html ce sont dit-on les moines de l’abbaye de Conques qui ont implanté le vignoble de Marcillac. L’abbaye est bien plus célèbre que cette AOC, sa renommée est mondiale depuis que le grand peintre abstrait Pierre Soulages, né à Rodez, a dessiné des vitraux en 1994 d’une pureté et d’une rigueur sidérantes. www.conques.com/ Le cépage du fer Servadou nommé localement mansois, planté sur des coteaux argilo-calcaires dits « rougiers », donne au vin des saveurs de cassis et framboise. Le mansois est pratiquement le cépage unique. La bouteille présentée provient du Domaine Cros www.domaine-du-cros.com son Marcillac cuvée Le Sang del Païs est très représentatif de l’appellation.