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16 août 2009 7 16 /08 /août /2009 00:00

D’Espéruche lui trouva de suite une tête de mal baisé : « il ne boit que de l’eau et ne bouffe que de la salade… Je le trouve contraint, comprimé, sournois, le genre de gus dont il faut se méfier dans une chambrée : un pointeur… »  Raymond, plus bienveillant, n’en exprimait pas moins son malaise face à ce petit bonhomme, terne, faussement modeste, qui en dépit de ses fonctions de chargé des relations publiques du Ministre semblait vouloir fourrer son nez partout en se parant d’un titre bien plus respecté dans les antichambres politiques : «d’ami du Ministre ». En sirotant son aligoté Raymond balança « c’est un fouille merde » ce qui lui valut l’approbation grasse de notre culotte de peau : « reçu 5 sur 5 Raymond, comme tu le dis mieux que moi ce type est un expert en rondelle à la ville comme au pieu… » Pour moi, le nouvel arrivant, que je n’avais pas encore croisé, possédait deux qualités essentielles qui en faisait la cible idéale me permettant de mettre en œuvre mes projets : la proximité du Ministre et, semble-t-il, selon mes acolytes, son côté je lave plus blanc que blanc. Pour m’en assurer il ne me restait plus qu’à consulter les fichiers de ma crèmerie, les Renseignements Généraux, qui devaient, je n’en doutais pas, s’être intéressé à cet étrange personnage qui avait gravité autour du Ministre lorsqu’il présidait la Banque Vernes et Commerciale de Paris.

Notre homme avait 34 ans, célibataire ce qui pour mes petits camarades des RG constituait un indice sérieux soit de pratiques sexuelles déviantes, soit d’une vie de patachon. L’auteur de la fiche le suggérait tout en notant le caractère quasi-monacal du mode de vie de l’intéressé – le vocabulaire utilisé était plus grivois : vit comme un vieux garçon, genre tapette qui s’intéresse aux culottes des gamines – ce qui ne laissait ouverte que la première branche de l’alternative, mais comme la grande maison avait d’autres chats à fouetter que d’aller enquêter dans les alcôves sur ce second couteau, on en restait au stade des soupçons. Beaucoup plus intéressant était la description du parcours professionnel de celui qui pour moi endossait de mieux en mieux ses habits de pigeon. C’était un pur autodidacte : origines modestes, pâtissier dans sa jeunesse, il avait commencé à travailler comme apprenti sitôt son certificat d’études, à 14 ans, puis cours du soir sitôt le travail, ce qui signifiait avec l’étude et les devoirs un coucher autour de minuit pour se lever à 5 heures du matin. Trois années de galère qui le menaient à ses 18 ans dans un obscur emploi au Ministère des Finances puis aux Assurances Sociales. C’était un ambitieux, il souffrait de sa condition. Il voulait s’élever donc il continuait de bucher ce qui lui permettait d’entrer au bureau d’études de la SNECMA comme technicien. Ensuite, comme tous les jeunes français, à 20 ans, il partait pour 24 mois et demi à l’armée. Bizarrement, pour des raisons pas très claires, il ne suivait pas le parcours des OER. À son retour de l’armée, où il semblait avoir passé le plus clair de son temps à bouquiner les grands auteurs de la science économiques, il entrait comme journaliste dans le magazine économique et financier Entreprise. Lorsqu’il rencontrait le futur Ministre alors banquier, en 1965, il avait 27 ans, et il était chef du service économique et financier du magazine.

Notre première rencontre, dans le bureau du Ministre, purement fortuite, j’y entrais, il allait en sortir, accentua le portrait du méritocrate bâti de bric et de broc. Le son enjoué de la voix du Ministre, lorsqu’il me salua, provoqua sur son visage, qui se voulait impassible, une légère crispation. À la seconde même il se découvrait un rival, jeune, décontracté, s’adressant d’égal à égal à son idole. Celle-ci, non dépourvue de cruauté à son égard, me présenta comme la meilleure plume du Tout Paris politique, en ponctuant son compliment d’un « il me change de toute cette bande de tête d’œufs prétentieux et des minables qui me font la cour » qui dut lui labourer le cœur. Qu’un va-nu-pieds comme moi, puisse conquérir les faveurs de son Ministre avec un bagage aussi léger relevait de la pure injustice. Je pressentais que, sous ses airs d’humble chanoine se cachait la flamme d’un Savonarole. Impression confirmée dans le livre qu’il écrira pour se justifier « car je suis de ceux qui pensent que sur le plan moral, l’homme détendu est un homme relâché, et qu’un homme relâché est un homme perdu. » Aucun doute n’étais permis, j’étais un beau spécimen d’homme relâché et il ne pouvait que craindre mon ascendant naturel sur son Ministre. Son beau parcours du fournil aux ors de la République en passant par le parfum entêtant de la gestion de fortune dans une banque réputée, qui le mettait « sur un pied d’égalité avec des polytechniciens et des hauts fonctionnaires… » ne lui suffisait pas. Pour apaiser sa souffrance et étancher son incommensurable orgueil il lui fallait s’élever au-dessus du commun, devenir l’Archange Gabriel.

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