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2 août 2009 7 02 /08 /août /2009 00:02

Nul ne se souciait de moi, d’ailleurs beaucoup de membres du cabinet ignoraient jusqu’à mon existence puisque je ne participais à aucune réunion de cabinet et, à fortiori, à tout ce qui touchait à la vie de celui-ci. Je n’existais pas. Mon nom n’était porté sur aucun organigramme. Le standard ne détenait aucun numéro de poste à mon nom. Comme je travaillais essentiellement la nuit les occasions de me croiser dans les antichambres, les lieux de travail et de réception étaient très rares. Hormis la Secrétaire-Particulière, mon chaperon de Bourson – mais il était rarement à son bureau – le directeur de cabinet, qui répondait au nom un peu comique de Chapon, un Ingénieur des Ponts très Grands Corps de l’Etat, et de temps à autre le Ministre lui-même lorsque ma prose lui avait valu des compliments, je ne fréquentais pas le petit monde très gris des conseillers techniques et des hauts-fonctionnaires. Homme de l’ombre, je profitais à plein de l’avantage que me conférait ma position de nègre pour voir sans être vu et surtout d’accéder à tous les bureaux, la nuit bien évidemment, pour feuilleter les dossiers les plus chauds. Vous ne pouvez pas imaginer comme c’était simple et facile. Comme je ne pouvais pas être au four et au moulin, par l’entremise de ce cher de Bourson, l’ami Raymond avait repris du service dans la cohorte des huissiers et cette vieille culotte de peau de d’Espéruche se pavanait aux côtés du Ministre en tant qu’officier de sécurité. Deux positions stratégiques dans la collecte des renseignements et des rumeurs du petit monde qui gravitait autour du Ministre.

Dans un Ministère comme celui de l’Equipement et du Logement où seule une petite poignée de hauts-fonctionnaires détiennent les codes permettant de pénétrer dans l’imposant arsenal juridique des ZAC, des COS, des DUP et autres machines infernales, la proximité politique avec le Ministre et son entourage ne suffit pas pour décrocher la manne des grands travaux et des grands chantiers, des HLM, il est nécessaire d’entrer dans une forme de connivence avec eux. Officiellement, pour garantir l’égalité des entreprises face aux appels d’offre, le code des marchés publics déploie des digues, présumées solides et sans la moindre fissure. Les fissures se sont les hommes. La Haute-Fonction Publique française est difficilement achetable mais elle a l’échine souple et un sens aigu de ses intérêts collectifs, alors tout doit être mis en œuvre pour la contourner, pour qu’elle ferme les yeux en se pinçant les narines. Le Ministre et ses conseillers influents jouent donc un rôle déterminant dans la sape des dispositifs jugés sans faille. Comme ce sont des politiques, émanations d’une majorité parlementaire qui, par la grâce du scrutin d’arrondissement, se transforme facilement en porte-paroles de ses électeurs, surtout ceux dont le portefeuille peut-être sollicité pour financer les campagnes électorales, la proximité est naturelle. Les pompes à finances, les bureaux d’études liés aux partis politiques, les enveloppes ou valises de billets, émanant de marchés publics et, quelques années plus tard, des autorisations d’implantation de grandes surfaces par les commissions d’urbanisme commercial nées de la loi Royer, vont alimenter les grosses machines électorales des petits comme des grands politiques.

Les interventions pleuvaient comme à Gravelotte et la litanie des « monsieur le Ministre et cher ami » déferlait sur le bureau du cabinet chargé de dispatcher les courriers parlementaires sur les membres du cabinet compétents qui, eux-mêmes sous-traiteront la réponse technique aux services du Ministère. Toute une terminologie d’accompagnement de ces courriers permettait, en principe, de les hiérarchiser en fonction surtout de la qualité et de l’influence du demandeur. Tout ça pour vous dire qu’il me suffisait de pister dès la source : le bureau du cabinet, les gros poissons, pour détenir de la dynamite en barre. L’Administration, la petite, la besogneuse, possédait deux qualités inestimables pour le chasseur que j’étais : elle est lente, donc les dossiers stationnaient longtemps dans le même lieu, et elle ignore la mise sous clé de ses dossiers : ils étaient soigneusement empilés sur les bureaux de jour comme de nuit. Toute la fange tombait donc, sans grand effort de ma part, dans mon escarcelle. Mes deux acolytes me fournissaient eux de précieuses indications qui enrichissaient mon précieux butin : Raymond me transmettait les noms des solliciteurs qui défilaient chez le Ministre, d’Espéruche notait les appréciations du Ministre sur les dossiers sensibles.

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