« Suzanne t'emmène écouter les sirènes / Elle te prend par la main / Pour passer une nuit sans fin… »
Suzanne, ce prénom joliment désuet, pour les plus jeunes, n’est sans doute que le titre d’une chanson du dernier album « Bleu Pétrole » d’Alain Bashung et peut-être même que certains d’entre eux ignorent que c’est une chanson emblématique de Léonard Cohen revisitée pour les paroles par Graeme Allwright, icône des soixante-huitard qui a fait découvrir aux français Bob Dylan : « qui a tué Davy Moore » et bien sûr, Léonard Cohen et quelques autres. Ce qu’ils savent encore moins, j’en suis persuadé, c’est que Suzanne est un symbole : celui de la jeunesse et de la beauté triomphante, femme fidèle, soumise à la concupiscence des vieillards.
L'histoire de Suzanne, qui forme le chapitre 13 du Livre de Daniel, fait partie de ces textes apocryphes. Nous sommes à Babylone, Suzanne est l’épouse d’un riche marchand respecté chez lequel de nombreux juifs viennent régler leurs différents en présence de deux vieillards choisis pour leur sagesse. L'après-midi, une fois les visiteurs partis, Suzanne a l'habitude de se promener dans le jardin. Les deux vieillards libidineux la désirent. Ils l’observent. Un soir, Suzanne demande à ses servantes de fermer les portes du jardin et d'aller quérir de l'huile et des parfums afin qu'elle se baigne parce qu'il fait chaud. L’occasion est trop belle pour les deux lubriques qui soumettent Suzanne à un odieux chantage : « tu te donnes à nous sinon nous te dénonçons en affirmant que tu étais avec jeune homme… » Elle refuse de céder. Les deux vieillards mettent leur menace à exécution. Devant son mari et le peuple ils disent qu’elle s’est unie avec un jeune homme sous leurs yeux. Leurs paroles de sages pèsent lourds mais Suzanne en appelle à Dieu. Celui-ci exhausse sa demande par l’intermédiaire du jeune Daniel qui soumet les deux vieillards à la question : « sous quel arbre le forfait s’est-il déroulé ? » Pour l’un c’est un lentisque, pour l’autre un chêne. Ils sont confondus.
Sulfureuse histoire où la belle et jeune Suzanne repousse 2 vieillards libidineux et non le péché de chair : aurait-elle été aussi farouche si la proposition était venue de la bouche d’un jeune tourtereau ? Tous les ingrédients sont assemblés pour laisser planer sur cette histoire un érotisme torride : le bain, les huiles, la nudité, le désir, la concupiscence, la bestialité qu’un peintre de la Renaissance : Alessandro Allori (1561) – huile sur toile exposée au musée de Dijon : Suzanne et les vieillards – va dramatiser en une mise en scène où « Suzanne est en danger de viol, comme le montrent l'expression avide des vieillards et la brutalité crue de leurs gestes. Le refus de la jeune femme se lit dans le regard effrayé, la crispation du visage et l'énergie des mains pour écarter les agresseurs. »