N’ayant aucun goût ni pour les meutes, ni pour les troupeaux, à la première question je réponds NON, et à la seconde je réponds OUI. Bien évidemment les deux questions ne se situent pas au même niveau d’importance mais hurler avec les loups comme se calfeutrer dans la masse des moutons relève d’une même forme d’adhésion négative, de coagulation circonstancielle des rancœurs accumulées, de versatilité des foules, de coalitions hétéroclites, de poujadisme… Taper à bras raccourci sur le « maître » qui vient de faire un faux-pas ou se contenter de stigmatiser au café du coin les boucs émissaires mis à disposition ou de jouer les Ponce-Pilate revenus de tout, c’est se dédouaner à bon compte. Céder à l’émotion au détriment de la raison.
Commençons par celui par qui le scandale est arrivé : Robert Parker. Le très sérieux Wall Street Journal – j’adore les gens sérieux frères de lait du modèle banquiers costume trois pièces, qui se trompent avec sérieux et qui, par la même occasion nous trompent : versus affaire Madoff et autres joyeusetés, et qui toujours avec le même sérieux, sans même teinter de rouge leur front, s’érigent en donneurs de leçons d’éthique – sous la signature de David Kesmodel vient de sécher durement Robert Parker : http://online.wsj.com/article/SB124330183074253149.html d’un passing shoot de revers assassin le long de la ligne.
« Depuis des décennies, le critique Robert Parker se fait le héraut d’une éthique rigoureuse, payant tous ses voyages dans les vignobles et déclinant les cadeaux. (...) Mais Robert Parker n’a pas fait montre de la même rigueur avec les collaborateurs de son influente newsletter Robert Parker’s wine advocate. En septembre dernier, Wine Australia, un groupe industriel, a payé 25 000 dollars le voyage et les frais afférents de Jay Miller pour son déplacement dans le vignoble australien »
Avec une célérité qu’il faut saluer Robert Parker a admonesté son collaborateur et a présenté ses excuses pour ce défaut de contrôle.
Faut-il convoquer le tribunal de l’Inquisition, dresser le bûcher ?
Rober Parker fait du buiseness. Il a bâti un système de référence et non de valeurs au sens moral du terme. Ses lecteurs lui accordent un certain crédit. Le suivent. À lui de le préserver. S’il l’écorne, l’amoindrit, c’est son problème. Qu’il subisse les effets de l’arroseur arrosé du fait de ses positions « intransigeantes » est dans l’ordre des choses mais en rajouter, faire des trémolos sur l’éthique relève du jésuitisme ou du pharisianisme. Ceux qui lavent plus blanc que blanc comme ceux qui jettent la première pierre m’ont toujours paru suspects et ils me font peur car, comme tout un chacun, je pourrais être la cible de leur entreprise de purification ou de leur lapidation. À plusieurs reprises dans mes chroniques j’ai plaidé en défense pour des personnes jetées à la vindicte publique. Le grand Robert Parker n’a nul besoin d’un petit avocat comme moi pour contre-attaquer et je n’ai nulle envie de le défendre. Plus généralement, pour ce qui concerne ceux qui exercent la même profession que Robert Parker, l’adoption d’un code de déontologie donnant un cadre clair et connu à leur métier est le moins qu’ils puissent faire pour lever la suspicion. En tant que bloggeur, afin de garder ma liberté de plume, je me suis fixé une règle simple : être fidèle à moi-même en assumant mes contradictions. Mes seuls juges c’est vous. Mais je n’ai aucun mérite puisque je ne vis pas de ma plume.
Sur la deuxième interrogation, que voulez-vous, pour moi, l’abstention et l’abstinence sont sœurs de lait (en vieux français abstention=astensiun : abstinence) et, comme je ne suis pas un adepte du renoncement, que j’ai peu de sympathie pour les abstinents, j’ai toujours beaucoup de mal à trouver des excuses aux abstentionnistes qu’ils soient pêcheurs à la ligne ou militants.
Moi je vote. Je m’exprime. J’utilise un droit. Je choisis même si choisir est souvent une douleur. Dimanche dernier tout l’éventail de l’offre politique française sur l’Europe était offert à notre choix. Que certains estiment qu’elle ne soit pas de qualité je peux le concevoir mais sur le « marché électoral » la qualité de l’offre est largement fonction de celle de la demande. En clair, sur la scène nationale, nous avons les élus que nous méritons, à force de n’exiger d’eux qu’un listing de promesses nous nous exposons à ne récolter que des désillusions. Alors, pensez-donc, sur la scène européenne, aller voter pour élire des députés siégeant je ne sais où, je ne sais quand, pour je ne sais quel résultat concret, équivaudrait à se déplacer pour offrir à tous les recalés des partis français une sinécure douillette pour un résultat proche de rien. Même s’il y a dans ce sentiment une part de vérité je persiste à penser que l’abstention, le désintérêt des citoyens ne fait que renforcer l’absence de chair, d’envie de vivre ensemble qui prévaut dans notre espace européen. En effet n’oublions pas complètement d’où nous venons. N’oublions pas que les pères fondateurs ont pensé que le cambouis d’une union économique constituait le moyen le plus sûr de progresser vers une union politique.
À l’origine son nom, la Communauté Économique Européenne explicitait clairement sa finalité et, dans le langage courant, tout un chacun parlait du Marché Commun. Dans cette construction, l’Europe Verte, a tenu une place centrale et les marathons agricoles, forme moderne de l’arène antique, occupaient la Une des médias de l’époque. La fine fleur de la haute administration française se bousculait dans le TEE Paris-Bruxelles et le 78 rue de Varenne accueillait des pointures : Edgar Pisani, Edgar Faure, Jacques Duhamel, Jacques Chirac, Michel Rocard… L’histoire de l’Europe s’est écrite d’abord dans la bouse de vache, les Montants Compensatoires Monétaires, les prélèvements et les restitutions, la poudre de lait, les distillations en tout genre, les primes de stockage et la si fameuse garantie de bonne fin… pour avoir participé de très près – à la table du Conseil ou comme Directeur de Cabinet – à cette aventure sur des dossiers chauds je peux écrire, sans crainte d’être contredit, que sur le dossier des quotas laitiers, sur celui des accords de Dublin permettant l’élargissement à l’Espagne et au Portugal, sur celui de la 1ière réforme de la PAC le cartel des NON n’avait que le non comme programme. Je n’aurai pas l’outrecuidance de souligner que les mêmes ou leurs héritiers sont aujourd’hui les plus ardents défenseurs des avancées de ces accords : l’actuel conflit sur le prix du lait en témoigne.
Les enjeux de dimanche dernier, si tant est que cette élection en comportait, dépassaient bien évidemment le cadre restreint des problèmes de la PAC et de nos dossiers viticoles, mais comment ne pas être inquiet de constater que sur des dossiers aussi « techniques » que le sont les nôtres, nous ne soyons pas encore mûrs pour les appréhender dans le seul cadre économique efficient, celui de l’Union Européenne, et que nous en revenions à prôner le retour de barrières nationales, à nous recroqueviller. Je sais que ce que je vais écrire est très terre à terre mais c’est la vie de tous les jours : nous allons à Prowein, à la London International Wine Fair, à Vinitaly… Nous accueillons le monde à Vinexpo et à Vinisud. Notre grand marché domestique est celui de l’Union. C’est le plus riche et le plus important du Monde. Nous nous voulons grands exportateurs. Alors, plutôt que de nous servir de l’Union comme d’un punching-ball, ne vaudrait-il pas mieux que nous commencions, avant de lui taper dessus, par assumer nos propres responsabilités. Ce serait, je le pense sincèrement, un grand pas vers de plus grands desseins.