« Combien de Divisions ? » ironisait le « Petit père du Peuple », cher aux cœurs des tauliers de la Place du Colonel Fabien de la grande époque qui n’aimaient rien tant qu’aller se reposer dans les datchas de la nomenklatura du Kremlin, à propos du Pape de Rome. Au temps où les Papes avaient, comme les Souverains, une Cour, et que la Curie Romaine était au centre des affaires de ce monde du XIIIe siècle aucun grand problème international, d’ordre diplomatique, politique ou bien sûr ecclésial n’échappait à l’attention de Rome, la question ne se posait bien évidemment pas.
Ce matin nous laisserons de côté les grands problèmes de géopolitique du Monde médiéval pour nous intéresser à la vie quotidienne du Pape, de ce qui touche à l’alimentation et à l’organisation de la table à la cour pontificale car c'est révélateur d'une époque méconnue des Français. Pour ce faire, je vous livre quelques extraits du livre d’Agostino Paravicini Bagliani « La Cour des Papes au XIIIe siècle » collection La Vie Quotidienne publié en 1995 chez Hachette, en mettant un focus sur le vin.
Les dîners solennels réunissant le Pape et certains membres de la Curie :
« De même, les bouteillers devaient préparer « tous les vases en verre et en bois nécessaires pour le vin », aussi bien pendant l’année que le jeudi saint. Les jours de fête, ils préparaient le clairet, rouge et blanc, ainsi que le vin « pour tous ceux qui boivent avec lui (le pape) dans la grande salle, comme dans certaines festivités ». Le pape avait en effet l’habitude d’offrir du vin et des petits gâteaux après de telles cérémonies liturgiques… »
Repas festif et pantagruélique :
« Au XIIIe siècle, il est arrivé que des cardinaux – surtout ceux qui avaient une descendance noble – reçoivent le pape avec luxe et magnificence […] Ce texte raconte la réception officielle que la cardinal Annibaldo Annibaldi, descendant d’une grande famille romaine, offrit au pape Clément VI (1342-1352) * »
« Le repas comporta trois fois neuf services, soit vingt-sept, d’une telle variété que je n’ai pas de mémoire à vouloir les décrire… mais en somme il faut penser que toutes les choses ici furent chères, bonnes, meilleures et très bonnes.
[…] Puis vint le cinquième service ; et après cela des hommes amenèrent une fontaine, au milieu de laquelle se trouvait une petite tour, et sur cette tour une colonne d’où giclait du vin de cinq côtés : du premier de la vernaccia *, du deuxième du vin grec, du troisième du vin de Beaune, du quatrième du vin de Saint-Pourçain, du cinquième du vin du Rhin.
« […] La vernaccia, les vins grecs, de la Rochelle *, de Beaune, de Saint-Pourçain et du Rhin furent servis en abondance. C’étaient les vins les plus fins qu’on puisse avoir. »
« […] Le pape s’étant levé de table, il retourna avec joie dans sa chambre accompagné par lesdits cardinaux et les personnes qui avaient dîné avec lui… Le cardinal appela un écuyer et lui dit : « Porte de suite du vin et des épices » Et ainsi fut fait… et on donna du vin et des épices au pape et aux cardinaux et aux autres personnes qui étaient dans la chambre avec lui. Après le vin et les épices, notre seigneur (le pape) se leva de son siège et s’en alla à la fenêtre qui donnait sur le jardin, sur les prés et sur la rivière Sorgue. Le cardinal Annibaldo courut alors vers la porte de la chambre et dit à un écuyer : « Va et cours, et fais en sorte que les personnes passent sur le pont de la Sorgue : si che vi cagiano entro » Ainsi fut fait à la vue du pape, afin qu’il y prît du plaisir. »
La table du camerlingue (responsable de la Chambre apostolique :
« Outre les douze portions de vin habituelles, les bouteillers devaient fournir au camerlingue et aux clercs de la Chambre du « vin meilleur » ou la valeur correspondante en argent (20 sous par jour) ainsi que les fiasques « et tous les vases nécessaires pour servir à la mensa. »
L’intendance :
« Si le blé absorbe 19% des dépenses totales, pour l’achat du vin les sommes sont encore plus considérables. Elles s’élèvent à 44% de l’ensemble du budget de l’Aumônerie. Nous ne savons pas quel type de vin est acheté, mais les quantités sont indiquées de manière précise : environ 1000 litres pour huit personnes, ce qui correspond à un deux litres et demi par jour et par personne. Là aussi, les chiffres correspondent à ce que l’on sait par ailleurs : au Moyen Âge, la consommation du vin est généralement très forte. Le vin est une boisson « hygiénique », à préférer à « l’eau douteuse des fontaines ». Il faut se soucier en outre que les hommes qui travaillent à l’Aumônerie accomplissent tout au long de l’année des travaux lourds, dispendieux en énergie. »
* période avignonnaise
* Vernaccia des Cinque Terre, en Ligurie
* vin du Poitou