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7 juin 2009 7 07 /06 /juin /2009 00:07

De toute ma vie jamais je n’avais eu de fil à la patte, oiseau du ciel qui ne sème ni ne moissonne j’allais et venais au gré de la nécessité, de mes envies ou de la volonté des autres, et puis voilà que soudain, coup sur coup, si je puis m’exprimer ainsi, j’allais m’en nouer deux des plus solides : l’un de sang et l’autre de pierre. Pendant tout le temps de l’attente de la confirmation de ma paternité l’inflexible Jasmine décréta l’abstinence au motif qu’elle voulait connaître avec précision le jour et l’heure de la « création » de notre enfant. Bien avant l’échéance je dus très vite me rendre à l’évidence : j’allais vraiment être père car Jasmine affichait avec une précocité stupéfiante tous les symptômes traditionnels de la femme enceinte : envies fulgurantes à toute heure du jour et de la nuit, nausées, seins tendus, hyperactivité. Très vite aussi je pris conscience de mon exclusion : tout allait se passer hors de moi, en elle, pour lui, entre elle et lui. Le souvenir des deux cent soixante cinq jours que j’avais passés à couvert dans la tiédeur de ma bulle amniotique me revenait. Baignant dans le ravissement j’y avais coulé les jours heureux d'un fœtus anonyme, béat et ignare, des jours que je croyais éternels. Tel un coq en pâte je me contentais de prospérer, de croître en paix. Fort de l’expérience de mon séjour dans le royaume de ma mère j’adoptais vis-à-vis de Jasmine la bonne distance : disponible, attentionné, aimant mais toujours soucieux de ne jamais empiéter sur son nouveau territoire secret.

 

Sans m’accaparer le rôle éminent de Laurence Pernoud dans le conseil aux futures mères, son livre-culte « J’attends un enfant » trônait déjà sur la table de nuit de Jasmine, mon compagnonnage près de mes nombreuses amies femmes m’avait permis de constater que celles-ci, lorsqu’elles portaient un enfant, même les plus féministes d’entre-elles, opéraient un retour en force sur le nid. J’allais donc m’occuper du nid. Dans un premier temps je baguenaudais dans Paris à la recherche du lieu idéal sans jamais me risquer à pousser la porte d’une agence immobilière car j’ai toujours eu en horreur les intermédiaires. Les jours passaient. Jasmine s’épandait doucement. Tout se fit en une petite semaine. Comment ? Par un enchaînement de hasards heureux qui portèrent jusqu’à moi cette belle maison étrangement située dans un verdoyant passage reliant la rue de la Goutte d’Or à la rue Polonceau. Avant même d’en connaître le prix j’avais dit au propriétaire médusé : « J’achète !» Le pauvre homme, contraint de se séparer de ce bijou pour dénouer un divorce tumultueux, dut avoir des envies de meurtre. Présenté à lui par un ami j’étais son premier visiteur. Ma brusquerie le déstabilisait. Pour l’emporter en force j’enfonçai grossièrement le clou « 20% en sus ce soir entre vos mains, ça vous va ? » Un instant je crus qu’il allait me jeter mais la perspective de soustraire une partie de la vente à la rapacité de son ex-femme et au fisc le ramenait à la raison. Devant lui j’appelais l’emplâtré qui gérait à la banque mon portefeuille « Vendez tout ! » lui avais-je intimé. « Mais ça va encore monter, attendez, faites un prêt relais… » Je l’envoyais balader et je raccrochais.

 

Laissant à Jasmine l’ensemble des pièces bourgeoises je m’installai dans la lingerie, une grande pièce claire donnant sur le jardin. J’y rapatriai tous les cartons que j’avais essaimés un peu partout au temps de mon errance. Dans la journée j’occupais le rôle d’intendant auprès de la future mère et la nuit je me plongeais dans mes archives. Au milieu de ce capharnaüm de coupures de journaux, de photos jaunis, de livres annotés, de petits carnets, de lettres, de documents administratifs, de factures, assis à même le sol, sous le trait blanc d’une grosse lampe d’architecte, je triais, jetais, empilais, en écoutant des galettes de vinyle sur une platine disque hypersophistiquée. Jasmine me portait des brocs de café. Parfois elle s’asseyait en tailleur face à moi pour me regarder faire. Je lui tendais une photo « Tiens, regarde notre nouveau Ministre des Affaires Etrangères au temps des matins blêmes du quartier Latin… » Elle commentait « il semblait éperdu… » Je soupirais en feuilletant un vieux Canard Enchaîné. Jasmine se plaçait à genoux derrière moi et s’appuyait sur mes épaules. Je sentais l’arc tendu de son ventre arrondi. « Il est drôle celui-là, on dirait un gros bébé derrière les barreaux de son parc… » Je me gondolais doucement « Tu as raison Geismar avec sa bouille de joufflu a toujours eu l’air d’un bébé Cadum égaré sur les barricades… »

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