Comme je ne sais pas dire non aux jolies filles, et comme la perspective d’une paternité tardive ne troublait en rien ma sérénité retrouvée, les termes du contrat passé avec Jasmine dans le fond du taxi tenaient en une phrase très révélatrice de mon personnage « c’est oui mais c’est toi qui décide de tout… » Après avoir déposé nos bagages dans son appartement, après lui avoir fait l’amour avec une tendresse de vieux caïman fécondant une frêle tourterelle, après l’abime d’une petite mort qui me précipitait dans un état proche de l’attrition, nous étions allé fêter ça au bar Hemingway du Ritz. Face à moi une Jasmine transfigurée, rayonnante, aspirait à la paille un cocktail de fruits pressés en me déclarant qu’elle allait maintenant faire de vraie nuit, se nourrir sainement, proscrire les substances aériennes, marcher, faire même du vélo mais pas trop parce que ça pourrait être dangereux pour la graine fécondée, nager, respirer, couver. J’opinais en descendant un flacon de vin de pays de Champagne millésimé. Nos voisins, des gominés du Sentier, parlaient haut du président comme si c’était un de leurs potes, avec une familiarité désarmante. Depuis notre retour tout le monde parlait du président, même le chauffeur de taxi un grand Malien placide. Manifestement Nicolas Sarkozy occupait l’intégralité de l’espace médiatique. Moi, tout juste sorti de mon éprouvette des premières années du septennat écourté du Président Pompe ça me défrisait. Ils me saoulaient avec leur parler gros, leurs phrases standards, leur manie de ponctuer tout et rien de « y’a pas de souci… ». Ils me gonflaient avec les sonneries à la con de leur flopée de téléphones cellulaires en tout genre. Imperméable à leur cinoche Jasmine abordait par la face Nord un sujet redoutable : le prénom du petit.
Pour Jasmine, aucun doute n’était permis, la graine fécondée par mes soins une petite poignée d’heures plus tôt – même si j’objectais faiblement que le déclin, la rareté, l’indolence de mes vieux spermatozoïdes rendaient l’opération très aléatoire –, allait lui donner un beau garçon joufflu avec de beaux cheveux bouclés. Avec un sourire désarmant elle me retoquait « Tu es plus frais qu’un mec de quarante ans mon tout beau. Tes petits machins qui vibrionnent je suis sûr qu’ils vont monter à l’assaut de mes trompes de Fallope comme des morts de faim. Comprends-les ces malheureux, tu ne leur as donné aucune perspective, ils piaffent d’impatience mon superbe géniteur.» Pour me gratifier de ce qualificatif elle avait légèrement élevée la voix en caressant de ses longues mains, à hauteur de son visage, une croupe imaginaire. À nos côtés les lustrés à Ray Ban et Rolex tiquaient, leurs neurones se connectaient, ils découvraient notre existence. Consciente de son avantage Jasmine contre-attaquait « Comment as-tu pu un seul instant croire que j’allais te laisser filer à l’anglaise. Sous tes airs de vieux matou revenu de tout se cache un grand gamin qui dit aimer les filles mais qui n’a jamais vraiment compris ce qu’elles sont les filles. Elles calculent tout les filles. De vraies manipulatrices, ce qu’elles veulent elles l’ont, comme moi avec mes airs d’évaporée j’ai toujours su qu’un jour tu nicherais un petit dans mon ventre. J’aurais pu faire ça en loucedé, sans te prévenir mais ça aurait été moche et puis je n’aurais pas connu l’instant magique où j’ai senti la fusion de ta semence se projeter en moi. Ta délicatesse, cette inimitable façon que tu as eu de me faire cet enfant avec profondeur et douceur. Ce ne sont pas les gros cons d’à côté qui peuvent s’élever à une telle hauteur… »
Je vous épargne l’échange un peu vif qui s’ensuivit. J’y fus, entre autres qualificatifs, traité de vieux saligaud et Jasmine de petite salope alors que je me contentais de m’étonner de l’absence de belles à leur table. Lorsque le barman, Edward, un compagnon de nuit blanche, vint me demander si tout allait bien ils battirent en retraite. Ce signe, marquant mon importance, témoignant de ma position eut-on dit autrefois impressionnait ces petits rouleurs respectueux des puissants. Jasmine qui après avoir allumé la mèche s’était abstenue de souffler sur les braises embrayait comme si de rien n’était « et si je l’appelais Louis comme ton grand-père ? » Edward, incrédule, me contemplait en quêtant une explication. Face à mon mutisme il se risquait à poser une question embarrassée « vous… je veux dire elle… elle attend…pourtant elle est plus fine qu’un haricot vert… vous… elle va avoir un enfant de… de toi c’est ça ? » Résigné je haussai les épaules tout en entendant Jasmine rétorquer à Edward, sans minauder, comme si ça relevait de l’évidence « c’est cela nous venons de lui donner la vie juste avant de venir ici… » Comme je lui avais demandé de décider de tout je dis oui à tout ou presque. Ma seule exigence, car je n’avais plus envie de vivre seul, fut que nous habitions sous le même toit. Pas ensemble mais tout près l’un de l’autre, dans une grande maison à Paris avec de l’herbe et des arbres. Jasmine pleurait en silence.