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17 mai 2009 7 17 /05 /mai /2009 00:08

Depuis notre arrivée en Corse j’avais perdu tout sens du calendrier. Je vivais hors du temps comme un moine gavé d’attentions par mes deux compagnons. Raphaël lisait et assurait l’intendance. Jasmine passait ses journées à la plage et ses nuits dans nos lits au rythme de ses envies. Moi, immergé dans ma bulle, je ne pipais mot. Ils respectaient mon silence et mes horaires erratiques. Parfois, Jasmine descendait à Ajaccio pour, disait-elle, garder le contact avec la civilisation. En fait elle allait s’approvisionner en substances diverses et variées. Nous avions déconnecté nos téléphones portables et, comme nous n’avions pas la télévision, que notre radio restait muette, que nous n’achetions pas la presse, la vie extérieure ne nous effleurait même pas. La seule sortie que je m’autorisais c’était la pêche en mer. En fait je ne pêchais pas car j’ai toujours eu horreur de ce qui s’apparente pour moi à une prédation inutile. Je mange de la viande et du poisson morts. Le préposé à l’abattage comme le pêcheur me servent d’écran commode. Ils me donnent bonne conscience je n’ai pas à me salir les mains. Dès notre arrivée Raphaël avait loué à notre propriétaire une barque munie d’un petit moteur. Je l’accompagnais et pendant qu’il péchait je nageotais en m’imaginant qu’un jour j’aurais le courage de partir droit vers le large pour ne jamais revenir.

Ce matin-là, éveillé par la prime lumière, un peu furieux contre moi-même, je m’étais péniblement extirpé de la douce chaleur du corps de Jasmine. La veille au soir nous avions braisé des langoustes et descendus beaucoup de flacons d’Antoine Aréna. Raphaël avait tout remis en ordre avant de s’endormir tout habillé sur le canapé. Le café noir bouillant ne calmait pas ma boule de mécontentement. Pour une foid j’allumai la radio et consultai ma montre. Les infos c’était pour dans un quart d’heure. Au dehors le jour donnait à la mer des airs de lac tranquille. Face au golfe, je m’entendais dire à haute voix que tout ce que j’écrivais n’intéresserait plus personne. Ce temps était englouti, oublié, pire, sous les effets du nouveau locataire de l’Elysée et de sa plume favorite, il était en voie de réécriture. Pour eux nous n’étions que des enfants gâtés, des profiteurs, des corrupteurs même. Comme pouvait-on travestir ainsi l’Histoire. C’était comme si on tuait à nouveau ce malheureux Pierre Overney. Moi qui m’étais écorché les mains sur les tôles de la chaîne de montage de Citroën je savais mieux que quiconque quel avait aussi le désespoir d’une partie de ma génération. J’avais côtoyé aussi la résignation silencieuse de ceux que beaucoup de Français continuaient de désigner sous des dénominations qui plairaient beaucoup aux sauvageons du neuf-trois : crouilles, melons, bicots… Nous n’étions pas tous des Glucksmann ou des July… Soudain pris d’une énorme colère, je me précipitais vers mon ordinateur et, comme mu par une irrépressible nécessité, j’imprimais les 42 pages de ce chapitre.

D’une seule traite je relus mon manuscrit au cabinet. Depuis ma petite enfance, lire au cabinet, constitue pour moi un acte d’hygiène mentale absolu. Ce lieu clos – enfant les cabinets étaient au fond du jardin et le trône était en bois, ce qui donnait à l’exercice un caractère plus monastique. De plus, comme le papier-cul était du papier journal, j’adorais relire une tranche d’actualité avant de quitter le lieu. La nuit j’y lisais à l’aide d’une lampe électrique – ne permet aucune échappatoire car on s’y sent démuni, nu. Ma fureur s’éteignit doucement mais, sans rancœur, j’avais de nouveau envie d’en découdre, de claquer la gueule à tous ces parvenus suffisants, pleins de morgue, qui pensent que le monde commence avec eux et que l’ingénierie financière est la quintessence de l’intelligence. Tout cela n’était que du vent, un vent puant qui allait, lorsqu’il se retournerait, empesterait les cages dorées des nouveaux rois du monde. Il suffisait d’attendre. Pour l’heure j’étais glacé. Raphaël s’affairait dans la cuisine. Je le rejoignais. L’odeur du pain grillé me donnait envie de l’embrasser. Ce que je fis avant d’aller m’asseoir en bout de table face au bol de café qu’il venait de me servir. « Tu vois Raphaël, ce que le commun des mortels ne peut pas comprendre, tellement les héritiers du gaullisme ont placé De Gaulle sur un piédestal, l’on statufié, pour mieux le trahir, dilapider son héritage et surtout effacer sa fameuse idée de la France, c’est que ces années ont été à la confluence d’une grande fracture de notre Histoire : la décolonisation et plus particulièrement de la fin de ce que l’on qualifiait alors de conflit algérien. L’Algérie avec ses 3 départements français, ses fellaghas, ses colons, ses petits blancs, son GPRA basé chez ce Nasser à qui nous avions mis une déculottée à Suez avant de nous retirer la queue basse sous la pression des américains et des russes, ses porteurs de valises pour le FLN, ses généraux félons, ses Massu et Bigeard avec la gégène et les corvées de bois de la bataille d’Alger, ses petits gars du contingent, son Guy Mollet et les tomates, son Mitterand Garde des Sceaux couvrant la torture… oui Raphaël cette Algérie elle avait fait imploser la Gauche comme la Droite et tous les coups entre factions rivales étaient possibles au temps du président Pompe… »

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