Le Gustave rhabillé congédiait sans ménagement, la grande morue et le bas du cul, en leur demandant rien moins que d’aller, pour la première, se faire mettre par le zouave du pont de l’Alma, et pour le second, se faire sucer par la concierge. Ces deux carpettes s’exécutaient en toute hâte sans moufter. Vautré sur le canapé Gustave, juste avant qu’elle ne sorte, hélait la fille « Ramène ton cul grande salope ! » Celle-ci, tout sourire denté dehors, revenait docilement, en ondulant des hanches, vers cette grosse outre de Gustave qui se grattait consciencieusement les couilles. « Et ma mousse bordel ! T’as pas vu que je recevais du beau monde. Qu’est-ce qu’elle t’a appris ta putain de mère ? Faut tout de dire. Arrête de zieuter sur le beau gosse il n’aime pas les morues de ton espèce. Bouge tes fesses et ramène-nous aussi des bocks pour que ces messieurs s’envoient une pinte d’une bonne bière de prolos… » Le boutonneux assistait à la scène en affichant une soumission béate. Tous ces enfants de la haute-bourgeoisie expiaient les fautes de leur classe avec une ténacité muette proche de la débilité. D’Espéruche accompagnait la grande sauterelle jusqu’à l’office alors que Raymond se laissait aller à une petite sieste dans un fauteuil.
La Gauche Prolétarienne programmait des « opérations militaires » contre la presse « fasciste ». Selon Gustave, ces jeunes cons avaient décidé que la première attaque porterait sur le Parisien Libéré d’Emilien Amaury, un ancien résistant, alors que, s’ils avaient eu deux sous de sens politique, ils auraient du s’attaquer à Prouvost, ancien ministre de l’Information de Vichy, qui possédait Paris-Match, RTL et des parts dans le Figaro. Bien évidemment je me gardais bien de faire part de ces réflexions à Gustave qui, en dehors de la vente de l’Humanité dans un passé déjà lointain, ne touchait pas le moindre journal et estimait que leur papier était tout juste bon à torcher son gros cul. Ses admirateurs de la GP, en dépit de leur cursus universitaire d’exception, se plaçaient sur une ligne très proche de la sienne. Pour eux, l’Aurore de Marcel Boussac le roi du textile, comme Prouvost d’ailleurs qui faisait lui aussi son blé dans ce secteur surtout basé dans le Nord, Minute le baveux haineux de l’extrême-droite, se retrouvaient dans le même sac que le Monde, le Nouvel-Observateur, l’Express car ils étaient, selon eux, « des appareils idéologiques » comme les radios, la télévision, l’Université, l’école, la justice, l’Assemblée Nationale, au service de la bourgeoisie qu’ils voulaient détruire. Le socialisme "vrai" ne s’embarrassait pas de nuances. Table rase, tout péter sans discernement comme pour exorciser leur incapacité à vivre dans le réel. Le quotidien des « larges masses », si triste, si petit, si sale, si minable, ils n’en avaient jamais connu la réalité alors ils se grisaient de mots et se défoulaient comme des potaches avec des barres de fer ou des manches de pioches comme seuls outils idéologiques.
Le scénario de l’attaque avait été mis au point au cours de « réunions secrètes » de la poignée de durs composant la branche « action » de la GP : une dizaine de gugusses qui se réunissaient toujours dans la même salle de Normale Sup, rue d’Ulm, la salle Cavaillès dite « des Résistants ». Du pain béni pour mes confrères des RG qui suivaient le déroulement des préparatifs en quasi-direct grâce à leurs informateurs. Comme l’écrit Joseph Conrad « le terroriste et le policier sortent du même panier… » Les chefs de la GP, ne sortant pas eux de l’école de guerre, s’en tenaient aux principes d’Attila : d’abord bloquer la rue des Petites-Ecuries, siège du Parisien, avec une poignée de militants recrutés chez Renault, dans les facs de Vincennes et de Nanterre, vivier des luttes prolétariennes et puis, la nasse ainsi fermée, le commando des casseurs pourrait alors tout péter à l’intérieur des locaux. Sauf qu’in situ, des bourres, casqués et bien entraînés, les attendaient et allaient les mettre en déroute sans beaucoup de difficulté. Ce gros con de Geismar, hagard, avec une barbe de trois jours, hirsute et désemparé, débarquait le lendemain dans le « palais » de Jean-Edern pour y trouver refuge. « Trahis… » Pour les maos, l’appartement du patron de l’Idiot International constituait une base arrière de repli qu’ils estimaient sûre. Ça faisait bien rigoler Marcellin et ses séides qui n’ignoraient rien des allées et venues de ce futur beau linge : Serge July, André Glucksmann, Jean-Claude Milner, Christian Jambet… dont le devenir marquerait du sceau de l’opportunisme le mouvement de mai 68. Gustave se gondolait en se vantant d’être celui par qui la « République du président Pompe » se sauvait des griffes des tigres de papier