Mon premier contact charnel avec la mort je l'ai connu le jour où Pierre Bironneau, un de mes camarades de classe, mourrut, comme ça, sans préavis. Je devais avoir 6 ou 7 ans. Avec la mémé Marie nous montâmes à pied jusqu'à la métairie, au lieu dit Villeneuve, pour lui rendre visite. C'était le soir, dans la grande chambre mal éclairée, dans le grand lit à rouleaux, les mains jointes sur un chapelet, son petit visage livide aux yeux clos, le petit Bironneau muré dans son silence éternel me glaça d'effroi. Le jour de sa mise en terre, étant enfant de choeur, pendant le Dies Irae je fus pris d'un chagrin inestinguible, je pleurai toutes les larmes de mon corps, j'avais peur qu'on me vola ma vie, je trouvai ça trop injuste.
Cette injustice je la ressentis à son apogée lorsque mon père, en pleine moisson, se coucha doucement sur le chaume et, avec son éternel sourire, trouva le repos qui n'avait pas été le lot de sa vie laborieuse. La mort me privait de lui au moment où, à l'aube de ma vie d'homme, j'avais tant besoin de lui. Ce lien rompu trop tôt en imprima un autre, invisible, qui me servit d'armature, structura mon parcours professionnel, fit de moi ce que je pensais qu'il souhaitait que je fusses. Sur mon bureau de la rue de Varenne, sa photo me rappelait à l'ordre : rappelle-toi d'où tu viens mon fils...
René Renou est mort. En cette circonstance, moi qui les aime tant, je n'aime pas les mots : ils sont trop petits ou trop boursouflés, je leur préfère le silence du recueillement. Alors ce matin je m'incline devant ton courage face à la maladie René, je salue en connaisseur ton anti-conformisme : nous nous sommes tant côtoyés à la tribune, je m'associe à la douleur et à la peine des tiens, je me permets de t'offrir la chanson du bougon enterré dans le cimetière marin de Sète " les copains d'abord " et le premier vers d'une tragédie de Sophocle "C'est une vérité depuis longtemps reconnue des hommes, que nul ne peut savoir, pour aucun mortel, avant l'instant de sa mort, si la vie lui fut douce ou cruelle" Adieu René, avec ceux qui t'aimaient bien nous lèverons nos verres car la vie continue et nous essayerons de faire fructifier ton héritage...