En ces temps difficiles, j’entends ici ou là des esprits chagrins distiller des doutes sur le bien-fondé d’une Amicale des Bons Vivants. Pour eux un Bon Vivant serait l’héritier en ligne directe du bombocheur, celui qui ne menait qu’une vie de plaisirs, désigné aussi dans le langage populaire sous le nom de noceur, de bringueur, celui qui fait la java, la foire, la bombe quoi ; et faire la bombe, bombocher, c’est bien sûr abuser de la bonne chère et du bon vin. « Je trouve ça drôle que mon conseil de famille, qui s’est toujours montré si sévère pour moi, soit composé précisément des parents qui ont le plus fait la bombe, à commencer par le plus noceur de tous, mon oncle Charlus […] » notait Proust, dans Sodome et Gomorrhe.
Ne leur en déplaise nous ne sommes pas des Charlus ! Pour autant nous ne sommes pas des bonnets de nuit : faire la fête entre parents, entre amis, autour d’une belle table avec de beaux vins, ou aux beaux jours sous la tonnelle avec un petit rosé bien frais et des grillades ou, pour clore la question : où nous le voulons, comme nous le voulons, avec qui nous le voulons, jusqu'à pas d'heure, avec de la musique, des bulles… Nous n’avons pas à nous excuser, à demander l’autorisation aux gardiens de notre santé de « prendre la vie du bon côté » qui est la définition du Bon Vivant donnée par le Robert. D’ailleurs, c’est bien ça qui embête ces chevaliers à la triste figure, car elle a tellement de mauvais côtés la vie que, prôner de la prendre du bon, c’est oser proposer une assurance au « tiers collisionnel » contre le mal-vivre qui est un peu leur fond de commerce. Essayer de vivre au mieux, avec les moyens du bord, comme prévention y’a pas mieux, nul besoin d’ordonnance et de carte vitale.
Nous ne sommes pas très prétentieux à l’Amicale des Bons Vivants, qui peut aussi se décliner en Amicale du Bien Vivre, nous n’exhibons aucune étude sophistiquée et à caractère universel, nous ne balançons pas des spots à la télé pour dire comment il faut manger ou bouger, nous ne vous conseillons rien, nous ne prétendons pas vous garantir la vie éternelle sur terre, ni ailleurs bien sûr, nous nous contentons de dire que notre vie est d’abord entre nos mains. Trop d’hygiène tue l’hygiène ! Trop d’interdits tuent l’esprit de responsabilité. Laissez-nous développer nos anticorps sociétaux ! Laissez-nous réapprendre à vivre ensemble, et si possible à bien-vivre ensemble. Pour ce faire, la maison Vin&Cie l’espace de liberté vous propose ce matin la figure n°1 du Bien Vivre mode d’emploi : un dîner à Fiesole.
La scène est paisible, une fenêtre ouverte sur la campagne nimbée d’un ciel cotonneux, deux couples qui viennent de finir leur repas comme en atteste la serviette posée sur la table, le morceau de pain, l’assiette de fruits et la carafe de vin bien entamée. L’un des convives tire quelques accords de guitare sous le regard de la femme assise, peut-être la maîtresse de maison, alors que l’autre homme fume une cigarette observé par un chien. Devant la fenêtre, debout, l’autre femme semble songeuse. Pas très gai comme tableau me direz-vous… En êtes-vous si sûr ? Ces quatre personnages figés par l’artiste, imaginez-les au cours du repas qui a précédé : tout d’abord ils se sont retrouvés, en dînant ils ont échangés, ri peut-être, parlé de la pluie et du beau temps, des nouvelles du moment, de leurs lectures, de tout et de rien, et maintenant dans la paix d’un milieu d’après-midi ils laissent le temps s’écouler. Ils n’ont pas la télé. Même dans une vie bien remplie, prendre du temps sur son temps, autour d’une table, simple, est une forme du bien vivre…
Petit détail : le tableau de Bacio Maria Bacci (1888-1974) est intitulé Dîner à Fiesole peinture sur toile (201x160) Galerie des Offices à Florence car le dîner était autrefois le premier repas de la journée. De nos jours l’appellation dîner s’est substituée à celle de souper qui est bien sûr le repas du soir. Fiesole est une charmante petite ville d’origine étrusque proche de Florence ; on y accède par une route toute en lacets…