Dans un passé récent dans le monde des bulles – celles du Pape n’entrant pas dans le champ de mes investigations pour plaire à notre reine Margot – hors le Champagne point de salut ni de statut, les bulles roturières qui, pendant un temps osèrent afficher méthode champenoise avant d’être excommuniée, végétaient dans la basse roture des mousseux, des roteux du type Gabin prolétaire, mauvais garçon, ou grand bourgeois. Pendant des décennies les comtes de Champagne régnèrent sans partage. De nos jours, même si la crise immobilière les touche, ils continuent d’occuper les étages élevés mais, dans les antichambres, de jeunes ambitieux plutôt bien bâtis, vifs et généreux, parfois insolents, ferraillent, montrent de belles qualités, se parent, tels les nobles d’Empire, des signes extérieurs de l’aristocratie comme les Crémants ou se moquent de leur basse extraction tels le Cerdon ou pire des cidres venus de nos cousins de la Belle Province du Québec. Sans tomber dans la facilité je puis écrire que l’effervescence règne dans le monde des bulles, les Sparkling, ça fait plus tendance, avec leurs rapières, titillent les basques des nobles champenois du dernier cercle, ceux de la frontière. La hiérarchie tient toujours le choc mais est-ce que dans un combat à la loyale, disons sans les attributs extérieurs de leur rang officiel, beaucoup d’entre eux resteraient sur le carreau terrassés par d’arrogants jouvenceaux ou des hobereaux ancestraux ? La réponse ne fait aucun doute mais, comme la France et ses Français, même s’ils s’en défendent, continuent de qualifier de régaliennes les fonctions essentielles de son Etat et de n’aimer rien tant qu’un Président Monarque, bousculer l’ordre établi n’est pas une mince affaire.
Convoquer en terrain neutre l’ensemble des challengers aurait relevé d’une forme moderne du Concours Général Agricole. Je n’en ai pas les moyens. Alors, comme je suis d’un tempérament à révérer le hasard, pour cette dégustation avec mes jeunes et fines lames, les bulles roturières qui se retrouvèrent sur la paillasse provenaient de mes errances de chroniqueur cycliste parisien et d’apports de dernières minutes en provenance des 3 garçons de la bande : Erwan, Yannick et Matthieu. Donc aucune logique, aucun tri, une forme d’aléa dont il pouvait sortir le meilleur comme le pire. Comme à l’accoutumée Flore nous accueillait avec son attention souriante et, bien sûr, Margot arrivait la dernière en un imper vert, pomme. Notre Michel-Laurent, le grand sage de la bande, nous priva de ses forts utiles lumières, nous l’espérons pour le prochain round et le saluons.
En clair, face à nous, 9 flacons sortis des glaces, soumis à la sagacité de mes 5 bretteurs. L’ordre de passage, loin de celui que j’avais imaginé, fut l’œuvre des garçons et plus particulièrement de Yannick et je dois reconnaître que, grâce à eux, mon exercice désordonné a pu se transformer en un combat loyal. J’emploie à dessein le mot combat car, dans un premier temps, comme dans les guerres du type Barry Lindon avec tambours, fifres et étendards, les premiers assauts sont confus, incertains, humains et les états-majors juchés sur les collines surplombant le champ de bataille ont bien du mal, en dépit de leurs lorgnettes, à déterminer vers qui va pencher le sort des armes et donner la victoire à l’un ou l’autre camp.
Tout ça pour vous dire que, le chroniqueur fainéant que je suis, se dispensera de vous décrire par le menu le sort des 9 : 2 Crémants, 2 méthodes ancestrales, 1 mousseux, 1 méthode traditionnelle, 2 cidres et 1 Champagne. D’abord, les deux premiers fauchés par la mitraille : un cidre traditionnel, très croute de Camembert, et un Cerdon, très Monaco bière-grenadine, en provenance de chez Lavinia qui semblaient avoir passé l’arme à gauche avant même de combattre. Pour l’honneur du Cerdon en général je demande au jury que nous puissions lui consacrer une séance de rattrapage. Vinrent ensuite dans le désordre 2 protagonistes au destin plus contrasté car si au nez ils ont fait l’unanimité : fleurs d’amandier pour le premier et cannelle et abricots secs pour le second, en bouche ils ont clivé le groupe : d’un côté les garçons plutôt enclin à leurs reconnaître de belles qualités pour MA Sphères méthode traditionnelle blanc de blancs 100% Maccabeu et pour le Crémant du Jura Indigène de Stéphane Tissot, de l’autre Flore et Margot rebutées par leur côté mec costaud. S’est ensuivi une discussion fort intéressante sur le sujet de la masculinité où je me suis un peu pris les pieds dans le tapis avec une histoire oiseuse de Boyard sabrant le Champagne. Puis, avouons-le, une réelle déception pour un Préambulles acheté à Montreuil, plus discipliné que d’ordinaire, mais qui ne semblait pas au mieux de sa forme (je confirme, je l’ai aussi goûté et pas reconnu) sans doute est-ce le lot des produits artisanaux très artisanaux mais comme pour le Cerdon j’ai décrété que nous y reviendrions.
Le panorama s’étant éclairci, le temps est venu de l’Ovni de notre dégustation, un cidre léger rosé mousseux, du Québécois Michel Jodoin produit selon la méthode champenoise à partir de pomme à chair rouge Geneva, vieilli sur ses lies pendant 15 mois » 7% alc. /vol, acheté à la Cave des Martyrs, au 39 de la rue, 17 euros 50. (Voir chronique http://www.berthomeau.com/article-29176955.html) Avis unanime sur le packaging bien réussi. Nez de pomme cuite acidulée, de merise, élégant, complexe. Robe, très belle, cuivrée, pelure d’oignon, brillante. En bouche : coulant, sapide, il désoiffe, presque minéral. Pendant que je confie à l’assemblée comment je fais ma compote de pommes, tous s’accordent à dire qu’à l’aveugle il n’est pas sûr qu’il serait identifié comme un cidre. À servir avec une langouste ou un homard : le débat s’engage entre Erwan, Margot et moi-même. Ce soir nous sommes dissipés heureusement que Yannick et Matthieu tiennent un peu la maison, en parlant du sucre résiduel, des levures indigènes…. Flore à l’oreille me fait une confidence sur le Chardonnay que je ne vous apporterai pas. N’allez surtout pas croire que je vais tout vous dire. Margot ponctue l’opus après une tirade sur le Stilton cheese, par « c’est une superbe découverte ! » Un peu chérot l’effervescent du Québec mais come il vient de loin et qu’on les aime bien nos cousins de la Belle Province nous passons non sans avoir un peu discuté de la hiérarchie des prix qui bride les meilleurs.
Excellente transition pour présenter les 2 produits qui ont recueilli une belle et enthousiaste unanimité et qui situent bien le caractère iconoclaste de notre dégustation. Le premier que j’ai trouvé à la coopérative, Sieur d’Arques de Limoux, le « vin du propriétaire » http://www.berthomeau.com/article-24464063.html C’est une Blanquette « méthode ancestrale », 6,5% naturels fruité qui a bluffé mes dégustateurs. Un nez de crème brulée, toasté, des aromes de miel ; une bouche explosive où les arômes compotés se confirment, où le sucré n’a rien de sirupeux grâce à une belle mâche qui laisse un sentiment de fraîcheur. C’est une réelle découverte. Margot, toujours radicale, en veut 2 caisses. J’espère que du côté de Limoux bonne note sera prise et que ce produit ancestral, très nouveau, très fun, peuplera un de ces jours les nuits parisiennes avec un petit lifting de l’étiquette tout en conservant sa fermeture système limonade. Le second est le Champagne Les Rachais 2002 de Raymond Boulard http://www.berthomeau.com/article-18520151.html qui lui aussi a vraiment séduit ma jeune assemblée avec son nez de tarte au citron meringuée, le côté beurré du Chardonnay. Ils l’ont trouvé en bouche sauvage en diable, opulent, de la profondeur, de la longueur en bouche, étonnant, droit. Un vrai coup de cœur ! Je bois du petit lait, si je puis m’exprimer ainsi car il commençait à faire faim, car ces 2 là sont pour moi deux beaux exemples, aux deux extrémités de l’échelle, de ce qu’il faut mettre en avant pour renouveler l’univers un peu compassé des bulles nobles ou roturières.
Reste à finir par le produit qui a ouvert le bal du mercredi soir : le Crémant du Jura la Cuvée Reine Jeanne 12°5 100% Chardonnay apporté par Yannick, un pur Desprogien, précis et discret. Nous étions tous très frais, moi surtout. Nez de frangipane Erwan dégaine toujours très vite, brioche chaude, coing pour Margot qui adore les coings de son jardin de Ludes. Les aromes évoluent, en bouche on retrouve le nez. Excellente fraîcheur, sympa, léger, dosé à 5,5. Un excellent rapport qualité/prix, 6,9 euros dans les Monoprix.
Nous terminons notre soirée par la dégustation de 2 cidres de glace : celui d’Erwan Pinnacle 2002 aux aromes de champignons des bois, poêlée de girolles fraîches, de nonettes de voilée (sic) et celui de Jodoin apporté par mes soins. Sympa, cher et un peu lassant en bouche. Avant que nous pliions bagage je pointe mes notes auprès de me 5 acolytes pour ne pas trahir leur pensée. Photo de groupe avec bouteilles, remerciement à Flore pour sa bienveillante et aimable attention. Nous envisageons la suite de nos dégustations et nous allons prendre l’air frais du boulevard Haussmann. Bonne nuit les petits… papy Jacques vous adore…