"Pourra-t-on encore parler d'agriculture et de paysannerie, a fortiori d'agriculture durable, s'il n'y a plus de paysans dans les campagnes, si la technologie a entièrement accaparé les techniques agricoles, si la ruralité n'est plus que le seul souci des citadins "encampagnés" et si la majorité de la production alimentaire, mis à part les greniers de végétaux, se fait directement en ville ? Nous sommes à l'orée de transformations radicales quant à la vision de la campagne comme seul et unique lieu de production alimentaire (...) Ce n'est nullement une utopie; on s'est déjà presque fait à l'idée que campagne, agriculture et agriculteurs se rejoignent dans le paysage jusqu'à s'y dissoudre, et l'on accepte dorénavant que tout soit géré pour et à partir du seul univers urbain. On a depuis longtemps pris l'habitude d'aller s'y ravitailler dès que l'on désire plus d'un oeuf ou d'un litre de lait; oui tout court vers la ville.
Partant de cette évidence, deux chercheurs reconnus de l'IRA néerlandais ont imaginé et réalisé les plans et la maquette d'un concept qui vient clore définitivement l'idée que nous pourrions encore nous faire d'une campagne cultivée à vocation nourricière - projet Deltapark de Jan de Wilt et Hensk Van Osten conçu pour Rotterdam - (...) Il faut imaginer un immense bâtiment d'un kilomètre de long sur quatre cents mètres de large, haut de six étages, qui viendrait remplacer les ceintures de maraîchers, les élevages divers, et court-circuiter les intermédiaires de tout poil ainsi que les circuits de livraison de longue distance, projet qui s'inscrit dans un plan hyper-rationnel d'approvisionnement de la ville. Ce bâtiment contiendrait une batterie de deux cent cinquante mille poules pondeuses, un million de poulets de chair, trois cent mille porcs et quelques dizaine de milliers de saumons élevés au sous-sol en piscine; ainsi que des caves à champignons et à endives. La préoccupation du bien-être des animaux serait évidemment prise en compte dans l'organisation même des poulaillers et porcheries : lumière, espace, vie en famille et promenades journalières sur des terrasses allant dans ce sens. Dans une gigantesque serre aménagée sur les toits pousseraient des laitues, des tomates et des poivrons. Dans les étages intermédiaires prendraient place les unités d'abattage, de fabrication, de conditionnement et de conservation pour les aliments préparés en barquettes et sous blisters afin d'être distribués "frais" dans les hypermarchés de la ville. L'énergie pour faire marcher ce complexe serait directement fournie par la fermentation des excréments d'animaux sous forme de biogaz en complément duquel s'ajouteraient des éoliennes installées à demeure. Les déjections serviraient aussi à faire du compost pour la production des légumes. Le lisier de porc retraité, riche en azote, en phosphate et en potassium, fournissant des fertilisants naturels ainsi qu'une grande partie de l'eau potable de l'exploitation. L'air chaud des porcheries et des poulaillers, ventilé dans les serres, servirait de chauffage d'appoint et fournirait aux plantes l'apport en gaz carbonique nécessaire pour accélérer leur croissance...
Chaque chose est ainsi calculée, utilisée, réutilisée, jusqu'à des élevages d'asticots, de grillons et autres insectes élevés en chambre dans les recoins chauds et humides du bâtiment comme protéines vivantes pour les poules et comme garantie pour la qualité "biologique" des oeufs destinés aux consommateurs voisins. On pourrait en rester au projet, mais ce matin, en ouvrant le journal, la réalité a rattrapé cette demi-fiction. J'ai eu comme une confirmation de ce futur déjà en route : dans le centre de Tokyo, dans ce qui fut autrefois une salle des coffres a commencé la culture hydroponique en sous-sol de tomates et des salades (Monde 13 janvier 2005). Si l'expérience est concluante, des rizières seront installées dès 2006 dans les entrailles du bulding..."
Désolé une erreur de clic met en ligne ma chronique du 15 juin écrite ce jour car demain Sans Interdit se réunit. Toutes mes excuses...