Inutile de vous présenter Michel Chapoutier. http://www.berthomeau.com/article-michel-chapoutier-l-homme-qui-adore-l-art-premier-et-la-tete-de-veau--43450706.html Comme souvent ses prises de position sur ce sujet sensible vont sans doute provoquer quelques turbulences dans les branches de sassafras du monde du vin. Libre parole amène le débat et, comme le hasard des réponses veut que Michel s’adresse à son ami Christian, libre à celui-ci de relancer la balle : mon espace de liberté est fait pour de tels échanges entre gens de bonne compagnie. Sans plus attendre la parole est donnée à Michel Chapoutier.
1ière Question : Le règlement du Conseil des Ministres du 29 avril 2008 prévoit dans son Titre V : Potentiel de Production un Régime transitoire des droits de plantation qui débouchera en 2015 sur leur extinction. Michel Chapoutier, en tant président du syndicat des négociants de la Vallée du Rhône, que pensez-vous de cette libéralisation ?
Michel Chapoutier : Je réponds à cette question en tant que Président des négociants de la Vallée du Rhône mais aussi en tant que Président de la commission des négociants producteurs à l’AGEV. J’insiste sur ce point parce que nous avons tendance à oublier qu’un nombre significatif de négociants est aussi producteur (beaucoup de négociants sont à l’origine des producteurs qui sont devenus négociants dont la partie négoce est devenu majoritaire). J’ai toujours été convaincu qu’un négoce producteur comprend les problèmes de la production. Comme je l’avais dit à certains producteurs dans une réunion professionnelle parisienne, « vous avez le négoce que vous méritez». Cela avait un peu choqué, mais j’entendais par ces paroles : les régions où la production a voulu tenir de manière très insistante le négoce à distance du foncier. Souvent, en période de crises, le négoce a moins « joué le jeu » car il se sentait moins impliqué dans la problématique économique et foncière de la production. Les régions comme la Vallée du Rhône Septentrionale, où le négoce est fortement et historiquement producteur, sont des régions qui ont très peu connu les crises. A plusieurs reprises nous avons approché l’AGPV (l’association Générale de la Production Viticole) pour demander que le négoce puisse aussi être intégré dans les tables de discussions. Et là systématiquement, une fin de non-recevoir a été évoquée.
Nous sommes donc face à deux constats :
- Le négoce a eu toutes les peines du monde à se faire entendre pour pouvoir participer en tant qu’acteur dans le développement du foncier viticole.
- Le principe d’attribuer des droits sur une logique de production en occultant la logique de commercialisation a probablement contribué, plus fortement que nous le croyons, aux crises de surproduction. Il est bien entendu concevable qu’un jeune puisse et doive être aidé et soutenu lorsqu’il souhaite s’installer (logique de production).
Mais cette approche unilatérale aurait du également intégrer une phase de soutien de la capacité de frappe commerciale. Donc, le système ayant montré ses limites, et face à l’impossibilité pour le commerce de pouvoir se faire entendre par la position hégémonique de la production sur des principes légaux, la libéralisation des droits semble être enfin une alternative nécessaire.
2ième Question : Vous avez bien conscience, Michel Chapoutier, que votre position va à contre-courant de la position unanime des organisations de producteurs qui demandent au Ministre de l’Agriculture de faire revenir la Commission de l’UE sur cette position. Dans l’hypothèse où un régime de droits de plantation serait à nouveau en vigueur au-delà de 2015 qu’est-ce qui doit changer pour qu’il vous satisfasse ?
Michel Chapoutier : La seconde question stipule bien : « dans l’hypothèse où un régime de droits de plantation serait à nouveau… » car l’OCM me semble avoir été actée. De ce fait, il ne me parait pas être à l’ordre du jour de revenir sur ce principe. Bien entendu, je suis un fervent défenseur du principe interprofessionnel et donc de l’autonomie de décision des interprofessions. S’il est possible d’envisager une voix dérogatoire par des accords interprofessionnels, il faut que nous commencions réellement à accepter le principe de mise en adéquation des possibilités de plantation avec les potentiels, besoins et demandes des marchés. Il faudrait également qu’au lieu de considérer l’unité quantitative de production par appellation, nous la considérions par acteurs. Pourquoi sanctionner, dans des appellations en difficultés, des acteurs hautement qualitatifs qui eux n’ont pas suffisamment de droits de plantation pour satisfaire de fortes demandes ? Si le plus gros acteur d’une appellation a des problèmes d’écoulement de ses stocks ; est-ce normal de sanctionner toute l’appellation au nom des stocks moyen de cette appellation ? N’est-ce pas le nivellement par le bas ?
Je sais que mon ami Christian Paly le Président de mon interprofession, défend le principe dérogatoire sur les droits de plantations par l’approche interprofessionnelle. Pour cela il m’a donné comme exemple le principe des accords sur les rendements. C’est sur ce point que mon avis diverge. « Chat échaudé craint l’eau froide ». Nous ne pouvons pas parler d’accord interprofessionnel sur les rendements. Nous n’avons connu, à aujourd’hui, uniquement des choix unilatéraux de la propriété, proposés en acceptation au négoce. Si ce dernier était d’accord, la situation était parfaite. Et si tel n’était pas le cas, le désaccord était simplement annexé au Comité National de l’INAO, sans possibilité pour le négoce de peser dans cette décision sois disant interprofessionnelle. Donc dans ce principe, je n’encouragerai pas le négoce à se laisser endormir par ce risque de « duperies ».
3ième Question : Une vraie gestion interprofessionnelle dites-vous mais, comme vous êtes à la fois négociant et producteur je sais que sur la répartition des droits de plantation vous développez des propositions qui risquent de mettre un peu d’animation dans le Landerneau viticole. C’est l’une des fonctions de mon « espace de liberté » Michel Chapoutier. À vous !
Michel Chapoutier : Finalement, ma proposition face à ces constats est simple : ou libéralisation totale des droits de plantation, ou des droits de plantation sont proposés qui devraient être partagés de manière proportionnelle entre le négoce et la propriété. La propriété resterait souveraine dans son choix d’attribution (jeunes agriculteurs, etc. …), et le négoce pourrait rester souverain et cohérent avec sa philosophie. Nous attribuerions des droits en priorité aux acteurs qui exportent, embauchent et se développent, etc. … Je n’entends pas par là que le négoce récupérerait un pourcentage équivalent à sa part de commercialisation pour seulement agrandir ses capacités de productions. Non, le négoce pourrait utiliser ces droits pour les redistribuer aussi en direction de la production en accompagnement de contrats à long termes. Un des problèmes chroniques sur le sujet des contrats d’approvisionnement est, comme l’Arlésienne, nous en parlons beaucoup mais que nous ne voyons presque jamais. La LMA encourage en plus la concrétisation de la contractualisation. Dans cette logique Le négoce pourrait donc, en échange de contrats long terme, redistribuer ces droits aux contractants de la production. Ainsi la production participe activement au côté du négoce aux potentiels de croissance. Ainsi nous orientons les droits de l’allocation du négoce, vers ceux qui ont déjà les capacités d’écoulement et de développement, vers ceux qui savent se donner les moyens de se développer par de l’engagement long terme et par de la contractualisation