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18 mars 2009 3 18 /03 /mars /2009 00:03

Dans notre société frileuse, craintive, perméable aux grandes peurs, où les individus, tout en revendiquant haut et fort le respect de leur liberté personnelle, rejettent toute forme de responsabilité individuelle pour se réfugier dans un système où la loi s’immisce dans les moindres replis de leur vie, s’il est un mot largement galvaudé c’est bien celui de qualité. L’irruption, dont je ne conteste pas les principes, des normes d’hygiène dans notre univers alimentaire fait que, le plus souvent, un produit dit de qualité en possède bien peu. Le camembert Président est un produit de qualité mais est-ce un camembert ? Mais à contrario, le camembert Président dit de « campagne » révèle bien plus de qualités que certains camemberts de Normandie d’appellation d’origine contrôlée. Rien d’étonnant à cela beaucoup de ceux-ci sont fabriqués à partir de lait de vaches qui ruminent de l’ensilage.


Puisque nous français, nous nous revendiquons comme cartésien, souvent de façon indue en confondant rigidité et rationalité - n’oublions pas que Descartes fut le plus grand des premiers mathématiciens modernes et que sa méthode était fondée sur le doute - je m’en remets au philosophe pour explorer cet aspect sensible et non mesurable qui s’oppose à la quantité. Dans ses Méditations Métaphysiques il écrit « Quand aux autres choses, comme la lumière, les couleurs, les sons, les odeurs, les saveurs, la chaleur, le froid, et les autres qualités qui tombent sous l’attouchement, elles se rencontrent dans ma pensée avec tant d’obscurité et de confusion, que j’ignore même si elles sont véritables, ou fausses et seulement apparentes, c’est-à-dire si les idées que je conçois de ses qualités, sont en effet les idées de quelques choses réelles, ou bien si elles me représentent que des êtres chimériques. »

 

Ça devrait rendre modeste certains dégustateurs patentés, à qui des responsables professionnels ont étrangement conféré un droit de vie ou de mort « économique » au nom d’une soi-disant référence aux qualités de leur appellation. Exclu, carton rouge, interdit de jeu : pourquoi ? Aurais-je violé les règles fondamentales de l’appellation ? Non ? Suis-je alors un mauvais sujet, un bad boy qui nuit par son comportement ou ses pratiques à la renommée de l’appellation ? Silence gêné ou indifférence. Mais je ne comprends pas, mon vin plaît à mes acheteurs, à leurs clients, ne sont-ce pas eux les vrais juges des qualités de mon produit ? Comme c’est étrange, combien de vins sans qualité, mais bien abrité dans la médiocrité normée, passent avec facilité au travers de ce crible subjectif ? En ce début du XXIe siècle, dans la lignée de ses mots valises : brunch,drunch, nous adorons les mots fourre-tout qui rassurent le bon peuple, lui font accroire que l’on veille à sa place sur son bien-être. Étrange transfert que celui-ci, où l'on mélange joyeusement dans le même grand sac des signes, dit de qualité, des produits venant d'univers antinomiques, et que notre vieil Institut de l'origine se pare d’un Q pour emboîter le pas de ceux qui cultivent l’ambiguïté. 


Lors de la grande transition du vin quotidien vers le vin plaisir occasionnel, lorsque les Vins dit de Consommation Courante en déclin se sont vus inexorablement remplacés par les Vins d’Appellation d’Origine Contrôlée, notre génie français de la catégorisation nous a fait vendre à l’Europe naissante le génial concept des vins dit de qualité sous le sigle élégant de VQPRD (Vins de Qualité Produits dans une Région Déterminée). En faisant ce constat, je ne me dédouane pas de ma propre responsabilité car j’ai aussi, à ma manière, participé à l’édification de ce monument. Ainsi, nous avons, en creux, jeté dans les ténèbres extérieurs tous les autres vins qui, dans notre esprit cartésien, ne pouvaient être que des produits dépourvus de qualité. Au-delà de ce débat sémantique, certains grands encenseurs de la qualité, à leur corps défendant, j’en suis persuadé, ont donné des armes à nos adversaires hygiénistes. Tout consommateur d’un produit de non qualité ne saurait être qu’un ivrogne ou un individu peu soucieux de sa santé. Nous sommes-là dans l’univers des échelles de valeurs « ce qui fait qu’une chose est plus ou moins recommandable, par rapport à l’usage ou au goût humain, qu’un autre de même espèce. »

 

C’est fait, le mot est lâché : le goût, notre goût. Je n’entrerai pas dans l’inextricable débat entre le bon ou le mauvais goût mais me contenterai de faire référence à l’une de mes passions : la lecture. Depuis ma tendre enfance je suis un très gros consommateur. Selon l’épaisseur de 4 à 6 livres par semaine. J’en consomme plusieurs à la fois, bien sûr pas en même temps, mais en alternance. Dans mon métier, j’ai du aussi beaucoup lire, non pour mon plaisir, mais pour tenter de comprendre, des notes, des rapports, des lettres, des projets de loi et autres joyeusetés. Pour en revenir au lire plaisir j’ai toujours été frappé par l’ostracisme des milieux intellectuels ou littéraires français face aux livres à grand tirage américains ou aux romans policiers.

 

Ce dernier genre est devenu aujourd’hui tendance grâce à certains auteurs, Fred Vargas, Arnaldur Indridason entre autres, mais pendant tout un temps il fut considéré comme un vil produit à peine plus estimable que les romans à l’eau de rose. Moi j’ai lu des romans de Delly quand j’étais en culottes courtes et je trouve que c’est très initiatique la bluette. Dans le monde du vin le small is beautiful apparaît pour certains comme le seul gage de cette fameuse qualité. Entendez-moi bien, en écrivant cela je ne prêche pas pour la daube, je ne dénigre pas les vins de vignerons, bien au contraire, mais je revendique le droit à l’éclectisme de mes goûts, donc celui d’apprécier des vins roturiers eux aussi parés de belles qualités. Comme dans la palette des livres que je lis chaque jour, j’aime varier les plaisirs. Je ne consomme pas que du génie. Je consomme aussi des talents plus modestes, plus simples, mais qui n’en sont pas pour autant dépourvus de qualités.

 

Nous vénérons le supérieur, alors que dans la géographie de mon enfance, dans la liste de nos départements nous avions droit à ces pauvres Inférieurs : la Seine-Inférieure, la Loire-Inférieure et la Charente-Inférieure ; à ces malheureux du Bas : le Bas-Rhin, les Basses-Pyrénées et les Basses-Alpes, la modernité a poussé, comme les titulaires de noms jugés ridicules, les élus à les faire changer d’appellation. Ceux d’en haut : Haute-Marne, Haute-Saône, Haute-Savoie, Haut-Rhin, Hautes-Alpes, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Haute-Vienne, bien sûr, sont restés sur leur piédestal : en France on ne déchoit jamais. Reste le cas des Côtes-du-Nord qui, sans rejeter ce patronyme chti comme infamant, se sont accolées à l’Armor plus porteur du fameux soleil breton.

 

Nous, dans les vins, nous eûmes droit aux VDQS : Vins Délimités de Qualité Supérieure, forme d’antichambre d’attente pour l’accès au Saint des Saints et aux Vins de Pays, dénomination sympathique pour sortir de l’anonymat des Vins dit de Table - comme si la consommation à table avait quelque chose de vulgaire - mais sans ticket d’accès pourl'accession à la catégorie du dessus. La nouvelle phraséologie européenne est plus juridique, plus de référence à la qualité mais à l’origine : Appellation d’Origine Protégée, AOP, Indication Géographique de Provenance, IGP, Vin sans Indication Géographique. Y perdrons-nous ? Je n’en sais rien mais, ce dont je suis sûr, c’est que dans le domaine alimentaire, contrairement à l’idée reçue et répandue, la mauvaise monnaie ne chasse pas la bonne, bien au contraire les produits normalisés, aseptisés, de qualité certifiée, renforcent chaque jour qui passe le retour en force des bons produits, encore faut-il que ceux-ci soient accessibles au plus grand nombre.

 

 En guise conclusion très provisoire, pour ceux qui aiment se remuer les méninges, je vous livre ce qu’écrit Arnaud Milanese dans la notice du Robert sous le titre la fragilité des qualités « Les qualités, si difficiles à attribuer à une « nature » qui nous échappe, sont en fait rapportées les unes aux autres et deviennent relatives. La nature des choses qu’elles qualifient indirectement ne semble évocable que par une hiérarchisation de leur attribution. Alors s’explique que la notion de « qualité » puisse glisser jusqu’à ne désigner qu’une valeur relative. Admettre cette ambiguïté entre « identité » et « valeur », que manifeste le langage ordinaire, serait renoncer à la notion même de « qualité, soit au profit de celle de « valeur », soit, pour s’y soustraire, à celle de « quantité » requise par la connaissance scientifique.

* référence au livre de Robert Musil "L'homme sans qualités"


 

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commentaires

M
Pour ces vins qui ont un manque de QUALITE, ou pour ces vins dont les vignerons revêches, face au moule de l'intelligentsia officielle, ne veulent pas de ces signes de "qualité", je propose une nouvelle bannière: "Les vins de collection".<br /> -Ces vins de table, sur maturés, avec des taux de volatil les rendant impropres à la consommation...<br /> -Tout ces vins atypiques à l'appellation...<br /> -Tout ces vins originaux, choyés par leur géniteur...<br /> -Etc...<br /> Est-ce que cet objectif de promouvoir tout ces déshérités, ne pourrait pas être une action de l'ABV?
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