L’heure est aux Oscars, et à leurs petits cousins les César, et comme les français, me dit-on, en ce temps de crise, se réfugient dans les salles obscures, alors ce matin c’est décidé je vais vous faire mon cinéma, un cinéma indépendant, genre Sundance, loin des grosses productions hollywoodiennes, de la pure création coco !
Alexis Lichine, dans son Encyclopédie, écrivait « Par comparaison avec le Médoc, riche en manoirs, et le Sauternes où subsistent des forteresses médiévales, Pomerol donne une impression bon enfant. Souvent ses châteaux ne sont que des villas et les parcs y font place à des petits jardins car les vignes nobles occupent presque tout le terrain disponible. » Pas de classification à Pomerol mais un ordre établi où trône la star des stars : le Château Pétrus aux cachets mirobolants. En 1981, à l’Hôtel de Lassay, j’en disposais comme d’une arme de dissuasion massive, à déjeuner, auprès de certains de nos hôtes à peine remis de leurs frayeurs électives. Il est hors classe pour Lichine qui décline ensuite les Crus exceptionnels tels la Conseillante ou l’Evangile, les Grands crus tels Petit-Village et Gazin, les Crus supérieurs tels Nénin et le Clos de l’Eglise et enfin les Bons crus où nous retrouvons notre héros du jour : le Vray Croix de Gay, qui pendant très longtemps fut plutôt du genre Robert Dalban, un troisième couteau sympathique mais qui se contente d’être un simple porte-flingues.
Le cinéma français, avec la Nouvelle Vague et des acteurs tels le merveilleux Jean Bouise et l’homme qui aimait les femmes : Charles Denner, a su donner au second rôle ses lettres de noblesse. De la pâte humaine, un je ne sais quoi qui nous ressemble, une réelle proximité, une envie de partager avec eux le pain et le sel et, bien sûr, une bonne bouteille. Bref, ce matin plantons le décor avant de découvrir la révélation, notre Vray Croix de Gay, comme l’écrit Decanter « Une des plus remarquables progressions du millésime 2006 » Avec ses 3,67 hectares en trois parcelles, c’est un confetti mais un confetti aux voisinages illustres sur le haut du fameux plateau – harmonie du vocabulaire – de Pomerol : la plus grande, derrière Petrus, est enserrée par La Fleur, la Fleur Pétrus, le Gay et Hosanna ; la seconde est coincée entre Trotannoy et le Pin ; la troisième touche la Grave et Rouget. Du côté pedigree : 82% de Merlot et 18% de Cabernet-Franc et un âge moyen des vignes de 39 ans. 42 hl/ha en moyenne et seule les raisins des vieilles vignes du haut du plateau entrent dans le 1ier Vin.
Mais pour faire du cinéma il faut : un producteur et un réalisateur.
Au générique :
- les Producteurs : Aline&Paul Goldschmidt (des parigots qui ont débarqué en 2004) Aline au pays des merveilles : la saga de la Baronne Guichard http://www.berthomeau.com/article-19261133.html
- le réalisateur : Stéphane Derenoncourt Les 3 mêmes questions à Stéphane Derenoncourt « surtout pas œnologue » http://www.berthomeau.com/article-24738275.html
Tout cela est bel et beau mais l’heure est venue de passer aux choses sérieuses et, comme je ne suis pas un type sérieux, c’est à des jeunes gens sérieux, mais bons vivants, que j’ai confié le soin de la critique. Métier à hauts risques où il faut se garder de deux travers : le dézingage hautain et systématique et la complaisance mielleuse ou pire mercantile. Mon jury, une fille et trois gars, Flore de Cerval et Erwan Thill déjà présents lors de la dégustation Queen of Syrah et deux nouveaux venus : Matthieu Poirault fondateur de Vinalia et Josélito Franscisco de la Royal Bank of Scotland, a rempli sa mission avec la pertinence et la bonne distance qui doit prévaloir dans ce genre d’exercice. À noter que la reine Margot, notre banquière d’affaires, surfant sur un Power Point, nous fit, à notre grand désespoir, faux bond. Votre serviteur, lui, incompétent notoire, jouera le rôle de secrétaire de séance. À ce stade je dois concéder que ma référence aux Oscars ou aux César atteint sa limite car, bien évidemment, mes jeunes pousses ne se sont pas tapé une horizontale des Pomerol. Notre exercice a été plus modeste : 3 Vray Croix de Gay, un 1999 un millésime pré-Goldschmidt, un 2006 et un 2007 des enfants bichonnés par Stéphane Derenoncourt sous l’œil attendri d’Aline et de Paul. Contestable ! Peu me chaut, l’important, bien plus qu’une exhaustivité factice c’est la beauté de la découverte, le coup de cœur : le même que celui que j’ai éprouvé pour Séraphine de Senlis à la sortie du musée Dina Verny. Mais d’où venait donc cette splendeur, ces couleurs, ce raffinement ? D’une humble femme de maison illuminée peignant à quatre pattes avec ses grosses mains crevassées par les travaux les plus humbles. Dieu que Yolande Moreau est une grande et belle actrice : sous la cape du second rôle se cache toujours l’étoffe d’un premier.
Le 1999, dans une belle unanimité est jugé d’une sénilité sympathique, sa robe tuilée marque un début d’évolution, son nez encore explosif se referme vite, décline sur des notes animales, en bouche un boisé bien fondu, une belle vivacité mais une finale très courte qui laisse une pointe d’acidité. À boire de suite car garde encore de beaux attributs.
Le 2006 ensuite, la robe est d’un grenat intense, très profond, le disque fait ressortir cette profondeur. Matthieu s’interroge sur l’atypisme des fines larmes ce qui me plonge, moi, dans un abime de perplexité. Mes dégustateurs en herbe mais érudits s’attardent sur cette constatation paradoxale. « Les larmes sont un indice de l'alcool et du glycérol contenus dans le vin. L'alcool donne la chaleur en bouche tandis que le glycérol provoque la sensation de gras. Les larmes sont les gouttes qui descendent des parois du verre lorsque le vin est remué dans le verre. » Toute règle a ses exceptions et déjà ce 2006 surprend déjà. Le nez est intense, des parfums de lavande et d’amande, complexe avec des notes d’épices : cannelle et curry. Chaque dégustateur a son système de référence mais en commun les miens trouvent à ce 2006 un nez plus que flatteur, empli de promesses. Mais c’est en bouche que tout se joue : fraîcheur, minéralité, très vineux, un boisé très fondu, des tanins fins avec un équilibre remarquable bois-vin. « On retrouve les notes du nez » Il est gourmand, bien enveloppé comme un de ces chocolats sous papier doré : on ne sait pas ce que l’on va découvrir. Du velours et en finale le côté fruit ressort. « On a envie de finir son verre » souligne Erwan. Ce qui surprend mes dégustateurs c’est que ce jeune millésime est à la fois agréable à boire de suite, avec un carafage, et recèle un potentiel de garde remarquable. Ce Vray Croix de Gay 2006 est un vin moderne, au meilleur sens de la modernité, bien dans ses baskets tout en gardant ses belles racines de terroir. Beau débat que celui-ci : la tradition revisitée, dépoussiérée, forme d’un retour aux sources d’un terroir d’exception. Équilibre fragile, sur un fil, mais si porteur de ce grain de folie qui fait la différence. Flore à le mot de la fin « Ce vin est à l’image de son étiquette : très contemporain, les codes y sont présents avec une pointe de fraîcheur… »
Le 2007, enfin, une robe rubis impressionnante, profonde, insondable ; un premier nez de noix de coco, très Bounty, mais la dominante est celle de fruits noirs compotés avec un bois parfaitement fondu ; en bouche, en dépit de sa jeunesse, on croque dans le fruit, une belle puissance avec une grande finesse des tanins. Ce millésime sera sans aucun doute à boire plus rapidement mais au plan du plaisir celui-ci est identique au millésime 2006. Selon mes dégustateurs il a du être bien placé dans la dégustation en primeurs. Ce qui les frappe c’est le côté soft du bois.
À l’unanimité du jury l’Oscar du meilleur second rôle est attribué au Vray Croix de Gay 2006, en quelque sorte le Sean Penn du Pomerol. Comprenne qui pourra l’important c’est que moi je me comprenne tout en laissant planer le suspens. Les curieux peuvent toujours m’interroger par les canaux habituels.
Rappel : adhérez à l'ABV pour que triomphe le bien vivre à la française : pour les formalités d'adhésion vous reporter à la fin de la chronique d'hier en cliquant sur son titre (colonne de droite du blog). J'y reviendrai car seul un vrai réseau amical et convivial nous permettra de mener à bien le combat contre les sinistres cavaliers de l'Apocalypse de l'abstinence. Et ne me dites pas que vous n'avez pas le temps !