Dans l’avion du Glam, Michel Rocard, comme à son habitude potassait le dossier que je lui avais préparé. Nous allions au charbon : le Midi grondait et menaçait. En bon militant qu’il était, mon Ministre, avouait un faible pour les combats de ce pays. Aller au contact n’était pas pour lui déplaire. Moi j’étais dans mes petits souliers. Lorsque, le Mystère 20 aborda sa phase d’atterrissage de Béziers-Vias nous eûmes le sentiment que nous allions amerrir dans un océan de vignes. Souvenirs, souvenirs, certes, mais aussi un lien entre ce temps officiel où il a fallu, avec un certain courage, tirer un trait sur le passé et un temps, plus souterrain, imperceptible, où se levaient des hommes qui allaient prendre leur destin en mains. En 1974, Prosper et Louis-Marie Tesserenc ont été de ceux-là.
Ce dernier, suite à mon rapport, m’avait invité à l’AG des Cotes de Thongue à Valros. Le bougon des cépages était présent, plus bougon que jamais, mais lui aussi c’était le passé alors que mon hôte, lui, avec son regard pétillant d’intelligence et une jovialité communicative, incarnait ce que j’avais essayé de traduire dans les mots de mon rapport : « agir, plutôt que réagir » Bref, depuis cette soirée, comme certains le savent, je suis un addict « Cotes de Thongue » et Louis-Marie Tesserenc fait parti de ces hommes qu’il est important de croiser dans sa vie. Sur mes tablettes, depuis fort longtemps, j’avais inscrit le projet d’une chronique sur le domaine de l’Arjolle. Restait à la sentir, à lui donner la touche d’humanité, à l’écrire. Rien ne vaut pour ça une bonne discussion à bâtons rompus pour tenter de capter les petits riens qui font la différence.
Avec la reprise du domaine familial de 40 ha, les deux frères Prosper banquier en Afrique et Louis-Marie l’œnologue vont, comme tous les pionniers, pour relever les défis, chercher l’adéquation entre leur terroir et les cépages, des cépages venus d’ailleurs : sauvignon, viognier, réfléchir en liaison avec l’Agro de Montpellier sur ce qui se fait au Chili. Se tenir en éveil, être mobile, disponible permet de donner à leur liberté de choix du contenu et de saisir les opportunités des nouvelles demandes. L’irruption du fruit, ce raisin mûr et sain, avec plus de sucre et aussi d’alcool constitue pour le Languedoc, hors AOC, une chance à saisir. Les cépages ouvrent les portes des USA, du Japon, du Canada. Les lignes bougent. Ce pays immobile voit débarquer des gens du Nord. La diversité s’installe dans le Languedoc. C’est l’éveil de l’esprit vigneron : retrouver son vin sur une carte de restaurant, redonner du contenu avec le vivre ensemble au travers de l’aventure des Cotes de Thongue loin des traditionnelles oppositions caves particulières-coopératives et des clivages politiques traditionnels. Ouverture aussi avec le jumelage avec le vignoble hongrois proche du lac Balaton. Ce qu’il y a de passionnant dans l’histoire du domaine de l’Arjolle c’est qu’elle est intimement liée à une histoire collective d’un groupe d’hommes et de femmes. Ce n’est pas le chacun pour soi, trop souvent accolé à l’esprit pionnier, mais la conjugaison intelligente, sensible, de l’initiative individuelle et du sens du bien commun.
Autre trait qui me plaît à l’Arjolle, car c’est un trait de mon caractère, c’est l’éclectisme, ce goût de la recherche, cette capacité d’ouverture pour aller sur des terrains où d’autres ne se risquent pas. Cultiver sa différence : 40% de vins blancs, du muté sur grains de Merlot, implanter 1 ha de Zinfandel et bientôt 1 ha de Carmenere, c’est un beau pied de nez aux conservateurs de tous poils. Même si je vais choquer certains, pour moi, les Tesserenc comme le noyau des vignerons des Cotes de Thongue sont en capacité, au travers de l’AOP, de redonner des couleurs et de l’envie à une nouvelle génération de vignerons du Sud. L’excellence c’est aussi cette capacité d’aller vers la modernité sans pour autant galvauder ses racines. Tel était l’esprit des pères fondateurs. Bref, comme à l’accoutumé je m’enflamme mais c’est pour la bonne cause. De plus, l’aventure de l’Arjolle est une aventure familiale, les voilà maintenant, après le départ à la retraite de Prosper, 6 associés : Louis-Marie, bien sûr, Charles Duby et Guilhem de Fozières des beaux-frères depuis 1986, en 1992 Roland le fils de Prosper et à l’aube du XXIe siècle François fils de Louis-Marie et Roch fils de Prosper. 100 hectares cultivés et 80 hectares de vignes en production. Vivre au pays, comme le clamaient ceux que nous rencontrions en 1983 avec Michel Rocard, quelle chance, surtout lorsque c’est pour exporter 80% de ses vins, participer au rayonnement de notre vieux pays et faire que tout autour il y ait des voisins, des gens qui viennent au caveau, qui se parlent, qui vivent quoi messieurs les tristes sires qui veulent nous priver de cet art de vivre, du bien vivre à Pouzolles comme à la terrasse du Daguerre.
Comme toujours je suis un peu bavard et certains vont me reprocher de ne pas écrire sur les vins de l’Arjolle. J’en conviens mais pour ma défense je peux vous affirmer qu’ils sont à l’image de Louis-Marie Tesserenc : ils ont du caractère, de la personnalité, du charme et ce je ne sais quoi de convivialité qui fait qu’ils ont un goût de revenez-y. Vraiment je vous invite à aller d’abord faire un petit tour sur le site du domaine pour les découvrir www.arjolle.com puis si vous passez dans la région à faire un saut jusqu’à Pouzolles pour déguster les vins, bien sûr, mais aussi apprécier l’architecture du chais du domaine. Là aussi le geste traduit l’état d’esprit de pionnier des Tesserenc.
Rappel : adhérez à l'ABV pour que triomphe le bien vivre à la française : pour les formalités d'adhésion vous reporter à la fin de la chronique d'hier en cliquant sur son titre (colonne de droite du blog). J'y reviendrai car seul un vrai réseau amical et convivial nous permettra de mener à bien le combat contre les sinistres cavaliers de l'Apocalypse de l'abstinence. Et ne me dites pas que vous n'avez pas le temps !