Comme vous le savez j’adore les vaches et, comme tous les ans à la même époque, plaqué sur le flanc des bus de la RATP, affiché dans les couloirs du métro, un bovin aux yeux tendres me contemple. C’est l’emblème de la Grande Ferme de la Porte de Versailles, qui va se dérouler du 21 février au 1er mars, comme vont le dire les présentateurs de la télé, « l’incontournable rendez-vous de l’Agriculture Française ». Rassurante image nourricière que cette brave vache égarée dans la ville où beaucoup d’enfants n’en ont jamais vu en vrai. Gentil barnum fleurant la bouse de vache, le sandwiche au pâté, la saucisse grillée et autres fragrances de kermesse paroissiale. Rassurez-vous je ne vais pas vous la jouer dans le ton j’ironise. Pour les nouveaux venus sur cet espace de liberté, ou les anciens qui aimeraient me relire, en 2007, j’avais commis 4 chroniques sur le Salon de l’Agriculture. Si ça vous chante je vous en indique les liens.
Au cul des vaches avec une anglaise... http://www.berthomeau.com/article-5880006.html Quelle est la profondeur des Terroirs de France ? http://www.berthomeau.com/article-5883633.html La vengeance est un plat qui se mange froid http://www.berthomeau.com/article-5886568.html Avec Carrefour je négative ! http://www.berthomeau.com/article-5890899.html
Mon propos ce matin est plus circonscrit et peu se résumer ainsi : pourquoi diable dans la belle vitrine de l’agriculture planque-t-on le vin ? Pourquoi les bovins plutôt que les beaux vins ? Bien sûr, certains vont me rétorquer que les vins sont présents dans l’espace des provinces de France. J’en conviens mais mon propos est plus pointu, il se fonde sur deux de mes lectures récentes : un papier de Jean-Yves Nau dans le Monde Argent : « Pourquoi la vigne rend les Français « schizophrènes ? » et un courrier adressé au tout nouveau Ministre de la relance, Patrick Devedjian par Jean-Charles Tastavy président des Vignerons indépendants de l’Hérault, qui s’étonne auprès de lui que la viticulture, qui est pourtant un élément fort de la balance commerciale, soit l’oubliée du plan de relance.
Je cite Jean-Yves Nau : « Ceux qui entretiennent quelques relations dans les cénacles internationaux des grands amateurs de vin ont appris à connaître l'un des plus troublants paradoxes dont peut aujourd'hui souffrir l'Hexagone. " Pourquoi prendre à ce point plaisir à vous tirer une balle dans le pied ? ", vous demande-t-on sans rire à Londres ou à Tokyo, à Genève comme à Bruxelles. Comment comprendre, en d'autres termes, que l'Hexagone ne veuille plus officiellement se reconnaître dans l'ensemble de ses vins, dans ceux qui les élaborent ou qui en font le commerce ?
Longtemps clé de voûte de la planète viticole, la France semble ainsi mener depuis quelques années une forme de guerre suicidaire contre ce qui, vu de l'étranger, constitue un patrimoine agricole sensoriel et culturel sans véritable équivalent.
Les symptômes de ce désamour sont multiples et croissants. Quand la vente des centrales nucléaires, des rames de TGV ou d'Airbus fait les gros titres, aucun responsable gouvernemental n'ose se féliciter publiquement du fait que la France a, en 2007, exporté pour plus de 7 milliards d'euros de vins. Et c'est dans le silence feutré du Sénat que Michel Barnier, le ministre de l'agriculture, rappelait il y a quelques semaines que " les exportations françaises de vins et de spiritueux jouent un rôle décisif dans le solde positif de la balance commerciale des produits agricoles et agroalimentaires " et que " ce secteur économique rivalise même dans sa fonction exportatrice avec des productions industrielles prestigieuses ".
Autres symptômes, nullement anecdotiques : le précédent président de la République affichait ses goûts pour une bière étrangère et l'actuel ne fait nul mystère de sa méconnaissance de cette richesse nationale. Roland Barthes traiterait-il aujourd'hui du vin comme il le fit il y a un demi-siècle dans Mythologies ? Quel intellectuel oserait encore soutenir que le vin " est perçu par la nation française comme un bien qui lui est propre, au même titre que ses 360 espèces de fromages et que sa culture " ? Qui oserait encore voir en lui, comme Barthes en 1957, une " boisson-totem " ?
Je cite Jean-Charles Tastavy qui souligne que la tendance mondiale est à l'augmentation de la consommation et que par manque de compétitivité, la France n'en profite pas. « Si Airbus qui avait accueilli le premier déplacement officiel du Président de la République, et l’automobile font l’objet de toutes les attentions, nous sommes contraints de déplorer que le vin, premier poste excédentaire de la balance commerciale, n’est pas en pole position dans les préoccupations gouvernementales (...).
Pourtant, on peut affirmer que si la filière viticole française retrouvait la compétitivité qui lui fait défaut, les chiffres du commerce extérieur ne s’en porteraient que mieux, au bénéfice logique des finances publiques. Au regard de sa structure actuelle en terme : d’emploi, de taille d’entreprise et de structures juridiques, la filière viticole n’éprouve aucune difficulté pour répondre aux conditions de base du plan de relance. Nous nous engageons sans problème à ne pas délocaliser nos entreprises, à ne pas nous accorder de salaires faramineux ni de parachutes dorés… »
Pourquoi diable notre beau secteur n’est-il pas perçu par les décideurs publics ou privés comme une grande industrie stratégique ? Tout bêtement, si je puis me permettre de l’écrire, parce que la France, « honteuse » de l'héritage de son gros rouge, n’a pas voulu s’assumer comme le plus grand pays généraliste du vin. Pendant fort longtemps, nos amis de la RVF en tête, n’ont chanté que les Grands Crus et les petits vignerons – je ne leur reproche pas d’ailleurs – pendant qu’à l’INAO la grande dérive s’amplifiait. Dans mes postes de responsabilité pour mes interlocuteurs non spécialistes du secteur du vin leur vision était d’un simplisme déroutant : d’un côté les vins des châteaux qui se vendent tous seuls, de l’autre la marée rouge du Midi qui sporadiquement « fout le bordel » et coûte du fric. Le vin n'est plus une boisson populaire et Roland Barthes n'écrirait plus une ligne sur lui sauf, peut-être, à constater qu'il est devenu "la danseuse" des Grands et le nectar favori des bobos. J'exagère le trait bien sûr mais on ne peut vouloir une chose et son contraire.
En effet, tout le monde oublie, ou fait semblant, que l’essentiel des bons chiffres du commerce extérieur, outre bien sûr les icones bordelais et bourguignons, est le fait de produits marquetés Champagne et Cognac, et de vins dont la noblesse n’est pas avérée. On ne peut à la fois se comparer à Airbus et laisser accroire qu’on peut s’attaquer aux marchés de masse en enfourchant sa mobylette bleue. Pendant que les vins du Nouveau Monde réinventaient le vin de monsieur et madame tout le monde, créant ainsi de nouveaux consommateurs, nous, nous nous complaisions dans nos débats fumeux débouchant sur du surplace. Les cris d’orfraies sur les « vins dit industriels », formatés, boisés ou lobotomisés nous ont fait oublier l’essentiel : savoir-faire des vins de tous les jours à la portée du plus grand nombre. Quelle malédiction, quel opprobre devraient être jetés sur des viticulteurs producteurs de raisins qui veulent vivre de travail ? De quel droit certains les tiennent-ils dans un tel mépris ?
Alors il est trop commode pour se dédouaner de ne pointer le doigt que sur d’autres fautifs. Tout le monde connaît mon engagement ancien et constant contre l’hygiénisme mais attribuer à ses ayatollahs, et à eux seuls, le désamour du vin par les politiques, c’est se leurrer. C’est se mentir à soi-même. Si le vin n’est pas populaire c’est que beaucoup de ses défenseurs l’ont isolé dans un élitisme ravageur. Chacun doit ratisser devant sa porte. Je l’ai fait, pour ma part, en 2001 ce qui ma valu de me faire moquer par les beaux esprits, vilipender par les chefs de tribus et placardiser pour cause d’avoir dit tout haut ce que la majorité pensait tout bas.
Que disais-je de si horrible ? Tout bêtement que nous étions en position de répondre aux défis des vins du Nouveau si nous acceptions de piloter nos grands vignobles volumiques par l’aval. Qu’on ne vend pas des millions de cols comme deux cartons au caveau de sa cave. J’ajoutais que, si tel n’était pas notre choix, nous arracherions des vignes ce qui, dans un marché mondial du vin en plein développement, équivaut à délocaliser une grande part de notre vignoble. Pour autant mettais-je en cause nos AOC, nos vins de terroir ? Bien sûr que non, je leur demandais de revenir à leurs fondamentaux, ce que René Renou, président du CN de l’INAO s’évertua à promouvoir.
Nous récoltons en grande partie ce nous avons semé alors, au lieu de geindre, de quémander, de dire que c’est la faute des autres, de nous plaindre que l’on ne nous aime pas, de chercher des boucs émissaires, ne pourrions-nous pas retrouver l’esprit qui prévalait au sein du groupe de réflexion stratégique fait de respect mutuel, de convivialité, du souci de construire, d’explorer des pistes, d’œuvrer en oubliant pour un temps « sa casquette syndicale » pour que notre beau et grand secteur se prenne en charge et présente à l’extérieur l’image d’une industrie essentielle pour l’avenir de la France. Je sais que ça fait envolée de fin de banquet mais peu importe au moins à la fin des banquets, dans l’euphorie de la bonne chère et du bien boire, les mots avaient parfois de belles couleurs.