Éric Orsenna, page 315 de son livre « L’avenir de l’eau », déclare tout de go, avec jubilation, et une belle mauvaise foi : « j’en avais marre de l’eau […] de son sérieux, de sa fadeur, de sa pureté et, par-dessus tout, de son IMPORTANCE. Un impérieux besoin de PLAISIR m’était soudain venu. Le genre d’appel auquel je n’ai jamais su résister, et moins encore aujourd’hui que l’âge vient.
Bref j’avais envie d’une récréation.
Voilà pourquoi, le 17 janvier 2008, je pris le train pour Dijon, en savante compagnie de mes amis du bureau de l’Académie du vin de France, pour l’une de ces « voyages d’études » qui agrémentent fort l’existence. Bernard Pivot s’était fait excuser. Une mauvaise bronchite. Oh ! comme nous l’avons plaint.
En Bourgogne, on appelle »climat » une entité géographique : composition, texture et profondeur du sol ; mais aussi exposition de la parcelle, altitude, degré d’inclinaison… Le mot « climat » dit mieux et plus que le mot « terroir ».
Le climat que je veux saluer se trouve sur les Côtes de Nuits, à mi-pente, comme tous les grands crus. Plus haut, l’eau ruisselle trop, la terre s’assèche trop vite. Plus bas, l’eau stagne.
Ce climat mesure 1,8 hectare et ne produit que six mille bouteilles (les bonnes années, car les mauvaises, comme en 1968, on ne vinifie rien…).
Le prénom de ce climat, c’est Romanée, par référence à l’occupation romaine… Son nom, c’est Conti : il vient de la famille qui, longtemps, posséda le domaine.
Sous la conduite du maître des lieux, Aubert de Villaine, nous avons parcouru les vignes. Puis, dans la cave, à la lumière des bougies, religieusement dégusté. Comme à son habitude, Jacques Puisais, notre génial chimiste promenait son pendule sur les millésimes pour tenter d’en percer les mystères.
Les autres vins soulignent les saveurs ou les parfums qu’ils offrent. Ils font la roue. Ils bavardent, commentent, précisent : maintenant je sens la violette ; vous avez reconnu le goût de griotte ? Et là, que dites-vous de cette bouffée de framboise ? Soyez francs, aimez-vous cette brève irruption de pain grillé, de vieux cuir ?
La Romanée Conti rassemble. Bien malin – ou menteur – celui qui distingue. Chacune des composantes est trop intimement liée aux autres. On passe de l’une à l’autre insensiblement, les barrières des frontières sont levées. On qualifie la Roman ée Conti de « vin complexe ».À l’évidence. Mais qu’est-ce-que la complexité sans l’union ? Et qu’est-ce que la diversité sans l’équilibre ?
Les autres vins s’épuisent, même les plus riches. Il arrive un moment où l’on arrive au bout des saveurs. Fin du parcours.
La Romanée Conti poursuit. Nous nous promenons parmi les fruits, nous voici dans la forêt, à humer les sous-bois. Le gibier n’est pas loin. Bientôt, nous plongerons dans la terre, en nous approchant de la truffe. Et voici que nous partons pour une nouvelle escale, la réglisse. D’autres vont suivre. Heureusement que notre planète est ronde, nous ne reviendrions jamais.
Et puis, brusquement, alors que vous croyiez avoir épuisé tous les plaisirs connus, vous arrive un miracle, une caresse, une douceur, le souffle d’un pétale de rose juste avant quelle ne fane.
De tout cœur, je vous souhaite ce voyage une fois, rien qu’une fois dans votre vie. »
Voilà bien un académicien, malicieux et fort courtois qui sait vivre et écrire, dégustateur modeste et éclairé, je ne sais si l’un des locataires du 78 rue de Varenne a eu l’heureuse initiative de l’élever dans l’un des grades du Mérite Agricole – le vert du poireau et celui de son habit formeraient un bel ensemble – pour ma part, ayant souvent présidé le Conseil de l’Ordre, en lieu et place de mon Ministre, je l’y verrais bien. Qu’en pensez-vous mes chers lecteurs ? Dois-je actionner notre Ministre ?