En rangeant des vieux livres j’ai retrouvé la réédition de 1958 de « La Vendée » de Louis Chaigne (1ière édition 1935). Je l’ai feuilletée et j’y ai retrouvée les traces de ma jeunesse sauvageonne. Alors, ce matin, sans tomber dans la nostalgie, je vous fais entrer dans mon bourg natal, La Mothe-Achard, par la route de Nantes, celle qu’empruntaient les cars Citroën reliant la capitale de la Bretagne aux Sables-d’Olonne. J’espère que vous partagerez avec moi un peu de ce parfum d’enfance que seuls les noms de lieu, par-delà les bouleversements du temps, sont capables de restituer.
« Devant nous, c’est le Bocage, un Bocage moyen, modéré, qui se dénude aux approches de la mer. Les Moulières : ce gros village aux maisons modestes se tient en avant-garde de la Mothe-Achard. La route toute droite, sans détour, est comme lustrée. Déjà l’horizon s’élargit. On aperçoit les lointains estompés qui recouvrent l’océan.
La Mothe-Achard, arrosée par la discrète Auzance, est un gros bourg commerçant qui bénéficie des allées et venues de la Roche aux Sables. Riche d’histoire avec son ancienne baronnie qui fut, comme Tiffauges, un fief de Gilles de Retz, il ne comprend guère qu’une seule rue. Vêtu de beaux arbres, le château de la Forêt, demeure des Brandois, est devenu, sous l’égide des Frères de Saint-Gabriel, une école d’agriculture qui renouvelle, peu à peu, la Vendée paysanne. C’est le soir qu’il faudrait venir là tendre l’oreille au silence émouvant de la campagne, se prêter au recueillement universel, saisir dans l’arrêt apparent et momentané de la vie, les grandes lois qui, par-delà la nature, commandent nos corps et atteignent la surface de nos âmes. Symboles des puissances que nous détenons au plus secret de nous-mêmes, vous surgissez alors, plus éloquents, plus impérieux, arbres, champs, molles et douces collines (1) !
Mais voici l’horizon plus dégagé encore. Le Bocage, moins boisé disparaît bientôt. Tout découvert dans le ciel, le clocher de Saint-Mathurin pointe : sa sévérité romane est atténuée par sa jeunesse. Devant nous s’étale un éventail largement déployé et piqué de plusieurs flèches. Nous retrouvons Pierre-Levée et tout à l’heure nous nous arrêterons devant le monument de la Gorgone hystérique qui veut sur une place des Sables, représenter la France en danger. »
(1) Pour aller de la Mothe-Achard aux Sables-d’Olonne, il est recommandé d’emprunter la route départementale qui passe par le Plessis-Jousselin, la Chapelle-Achard, Sainte-Foy et Pierre-Levée. C’est le chemin des écoliers, mais l’école est ouverte, en réalité, tout au long du parcours, avec des réalisations modestes, peut-être, mais inoubliables.
Cette route je l’ai faite à vélo. Elle passait d’abord par la Chapelle-Achard, devant le magasin de tissus et d’épicerie de mon grand-père maternel, puis elle serpentait entre les hautes haies, s’enfonçait dans des boqueteaux, plongeait soudain vers des petits vallons, regrimpait pour musarder sur des croupes herbeuses. Elle côtoyait un moment le parc du château du Plessis-Jousselin où maman avait commencé son apprentissage de couturière.
Si vous passez par chez moi et que vous ayez la bonne idée de vous écarter des grandes tranchées routières, vous égrènerez des noms de lieu-dit, de métairies où la batteuse de mon père, après la moisson, en une tournée bien réglée (le premier servi de l’année n devenait le dernier de l’année n+1) clôturait le grand moment du cycle paysan. Grande fête que ces battages avec des repas plantureux et arrosés. Ces noms sonnent bien : la Louvrenière, la Lézardière, la Célinière (où mes parents se sont mariés et où mon frère et ma sœur sont nés) la Mouzinière, la petite et la grande Poissolière, le château du Plessy-Landry (fief d’Antoine Morrisson de la Bassetière propriétaire de la plupart des métairies), le Moulin du Retail, le Pécabré, le grand et le petit Douard… et bien d’autres si vous vous perdez ou si au lieu de vous rendre aux Sables-d’Olonne vous filez sur la route de St Gilles-sur-Vie. Là, tout en haut de la rude côte de la Giraudière, vous passerez à côté de la ferme du Pierrou qui, dans mon esprit de petit crotté du bocage, est longtemps restée associé à l’expression « ce n’est pas le Pérou » que je ne comprenais guère au vu de ce lieu qui n’avait rien d’extraordinaire mais qui un jour pris pour moi un intérêt majeur lorsqu’il abrita une belle plante aux appas que je jugeais irrésistibles.