« L’hirondelle du faubourg » – Paroles et musique : Ferdinand-Louis Bénech, Ernest Dumont 1912 – le tube de maman lors des fêtes de famille, tirait des larmes aux plus endurcis. Des couplets en forme d’histoire du malheur, de la lâcheté masculine et un couplet inoubliable : « On m'appelle l'Hirondelle du Faubourg / Je ne suis qu'une pauvre fille d'amour / Née un jour de la saison printanière / D'une petite ouvrière / Comme les autres j'aurais peut-être bien tourné, / Si mon père au lieu de m'abandonner / Avait su protéger de son aile, / L'Hirondelle… » En ce temps-là le faubourg abritait des faubouriens, le peuple laborieux, gouailleur, turbulents, des ouvriers, des artisans, des cousettes, des petits marchands, des petits métiers de Paris… Un Paris englouti. Place aux faubourgeois dont le rêve, comme l’écrit Michel Schiffres : « est d’habiter un vrai quartier populaire – à l’intérieur d’un entrepôt si possible, retapé entre potes dans le genre cargo (coursives et passerelles), avec le concours du copain architecte, ou « quelqu’un qui magouille dans l’immobilier », est essentiel à la vie du faubourgeois). Il voit son environnement comme un trésor de Trauner. »
L’appellation faubourgeois sonne bien car le standard de l’espèce s’appuie sur le faux, tout particulièrement le faux semblant qui s’exprime d’abord dans leur accoutrement vestimentaire et surtout dans leur mode de consommation alimentaire. Ce sont des importateurs de rébellion. Ils la greffent sur leur vie comme les implants capillaires de PPDA sur sa tête. Dans l’un de leurs derniers territoires de conquête, le quartier des Abbesses, avec la grouillante rue Lepic, contempler leur déambulation en guenilles de luxe et étudier leurs mœurs relève de l’ethnographie. Ces gens-là pensent beaucoup. Il leur faut des mots avant toute chose pour élever autour de leur vie douillette et confortable les hautes haies de la justification. Ils se veulent, vu de l’extérieur, exemplaires. Certains, à juste raison, vont me faire remarquer que je suis tout bêtement en train de dresser le portrait-type du bobo, le trop fameux bourgeois-bohème que Serge Raffy, dans « Nouvelles Mythologies », épingle avec une bienveillante férocité, en notant qu’il « joue un double jeu », qu’il « triche sans vergogne », qu’il « avance masqué », qu’il « joue les écologistes sans frontières » qu’il « connaît la bible du développement durable par cœur » mais « qu’au fond, il est un terrible prédateur » qui « est pour le métissage mondialisé mais ne supporte pas la mixité locale » . Qu’il « se crée des réserves dans lesquelles il retrouve ses frères bobos », qu’il « mange bio, mais part au Costa Rica en Boeing 747 vivre quinze jours dans les arbres. »… Oui je le concède mais le faubourgeois qui est un malin représente le premier stade de l’évolution de l’espèce qui, une fois installée dans son « ghetto high-tech, version cocooning », s’embourgeoise tout simplement en ne gardant que les signes extérieurs de la bohème. Comme l'écrit Raffy, un « beatnik pragmatique »
Comme New York est le XXIe arrondissement de Paris, le New York Times voit venir dans cette jungle douillette une nouvelle tribu : les « recessionistas » pour qui la crise doit changer nos habitudes et moraliser la consommation. Le texte qui suit exprime, à mon sens, tout le faux, tout le toc, du consommateur faubourgeois. Il est l’œuvre d’une modeuse d’un hebdo de « gôche » expliquant le pourquoi du comment du déboulé des « recessionistas » sur les zones de surpâture des faubourgeois. « D’abord parce qu’on n’a plus autant d’argent qu’avant. Mais surtout parce qu’on ne peut plus envisager les dépenses Kleenex, l’accumulation de vêtements qui restent dans les placards, d’objets dont on ne se servira jamais. Noël 2008 sera évidemment celui des « recessionistas ». Et c’est tant mieux : ce sera forcément plus juste. Halte aux sapins encombrés, aux tables surchargées et aux cérémonies d’ouverture de paquets interminables, qui se terminent inévitablement dans un tourbillon de papier et de plastique. Limite écœurant. Mauvais pour la planète. Et pas raccord du tout avec une situation économique qui ne prête pas à la rigolade. Nous sommes malades du trop… Mais du trop pas bien. Pour autant, il ne s’agit pas de verser dans l’austérité du cadeau éthique. Ce qui est pertinent, c’est de redonner de la valeur aux choses, de ne pas penser que tout nous est dû, et de retrouver le sens du beau parce que c’est la condition sine qua non du plaisir. Que l’on ressent et que l’on fait aux autres. On a bien besoin de ce genre de douceur dans un monde aussi agité. Finalement, il s’agit juste de se remettre à croire au Père Noël. En arrêtant de se comporter en enfants gâtés… »
C’est beau, non ! Que de on ! Mais me direz-vous : et le vin dans tout ça ? La réponse est dans la question. En effet, les faubourgeois adorent les vins qui leurs ressemblent d’une manière, certes à l'opposé, mais homothétique à celle que cite JJ Chiquelin dans son article sur la fin du bling-bling bordelais : « Il se lève tous les jours un milliardaire russe pour acheter mon vin », estime un propriétaire de premier cru classé. « 1000 euros la bouteille, c’est donné » estime un autre. L'élite, toujours l'élite, mais comprenez-moi bien je ne crache pas dans la soupe, je me contente de relever l'évidence : l'achat d'une belle bouteille de vin n'est pas à la portée de n'importe quelle bourse. Des deux côtés il faut l'assumer sans enrober l'affaire dans un discours autojustificateur. 10 euros c'est en gros 65 vieux francs, 15 c'est presque 100 balles et ainsi de suite... Qu'on me comprenne bien, je ne remets pas en cause la juste rémunération du travail d'un vigneron je souligne simplement qu'il faut accepter d'assumer les affreuses réalités du marché : le vin est bien une "marchandise" avec un prix.
Là je sens que les maîtres et les maîtresses de « chapelle » aux dénominations sympathiques, que les grands et petits prêtres des messes chantées en cercles fermés, vont appeler sur moi la foudre d’un « Bacchus » épuré, gardien du terroir. Afin de désarmer leur courroux je plaide de suite coupable mais, que voulez-vous, lorsque j’entends ce j’entends à propos du vin, en certains lieux, en certaines occasions, lorsque je vois les prix s’enfler, lorsque je lis des brouettes de mots boursouflés ou gentillets, je préfère l’opprobre au silence. Et que certains ne viennent pas me dire, comme adoraient le faire les communistes de la grande époque, ou les gauches de la gauche de toutes les époques, « qui n’est pas avec nous est contre nous ». J’aime le vin, beaucoup de ceux qui le font, qui le vendent, et certains de ceux qui le boivent. Toujours prêt à payer de ma personne pour la cause du vin je revendique le droit de le mettre à sa juste place, celle du pur plaisir et non de le laisser entre les seules mains de ceux qui s'en servent pour exhiber leur statut.