« Je m’étais souvent interrogé sur les origines de la tonnellerie. Mais aucun dictionnaire ne m’avait répondu et je pensais vaguement que la tonnellerie était née au Moyen Age sur les bords du Rhin !
Mon ami le poète érudit Fernand Tourret, m’a détrompé et éclairé. Ce sont les Celtes qui ont inventé la barrique en bois, quelques décennies avant l’ère chrétienne. C’est en Gaule que les Romains en ont appris l’usage. Le célèbre tonneau se Diogène n’était qu’une grosse amphore. Les peintures antiques en font foi.
Or, je considère l’invention du fût comme l’une des plus inspirées de tous les temps. Je veux dire l’une des plus inattendues, presqu’une pure création de l’esprit. Une invention qui ne tombait pas sous les sens ; qui relevait de l’imagination, non de l’imitation, puisque la nature n’en donnait aucun exemple (à part, peut-être, la rose dont les pétales resserrés ressemblent quelque peu aux douelles assemblées. Mais la rose existait-elle au temps des Celtes ?). La plus grande partie des inventions humaines figurait déjà dans la nature, sauf la barrique. La maison, c’est la grotte naturelle ; le bateau, c’est le tronc d’arbre qui flotte ; même la roue, c’est le soleil qui roule dans l’espace ; etc. Je dirais aussi que la barrique est une invention loufoque, burlesque, à contre-courant, à contre-raison, à contre-utilité. Comment a-t-on pu imaginer de faire tenir du liquide dans un montage de morceaux de bois difficiles à assembler ? Le récipient naturel, c’est l’amphore, le vase, fabriqués à la façon de l’arbre creux, de la pierre creuse que l’on copie en moulant de l’argile humide ; ou bien c’est l’outre que l’on trouve toute faite en cousant la peau d’un bouc. Les Grecs et les Romains, éminemment rationnels et utilitaires, ne pouvaient pas inventer autre chose. Tandis que les Celtes, peuple de rêveurs, insoucieux du temps et de la vie pratique, imaginèrent le fût qui, comme quelques autres inventions de poètes, s’avéra pourtant plus utile, plus adéquat à son but que tous ses équivalents ; et ils lui donnèrent sa forme définitive dès l’origine, puisqu’il n’a subi aucune modification essentielle au cours des âges.
Du premier coup, le fut est sorti parfait de la main humaine, comme telle déesse du cerveau de Jupiter.
Il y a en effet du divin dans une telle invention. En l’appelant miracle, je ne sollicite pas les faits, je ne tire pas le voile à moi. J’emprunte seulement à la bouteille son épithète rabelaisienne et je ne dis que la « dive barrique » est une invention poétique !
In « Célébration de la barrique » par Pierre Boujut éditions Robert Morel