La maison, ouvre une nouvelle rubrique : « documents d’archives » pour publier des textes, souvent désuets, bien écrits, reflets d’un temps, certes révolu, mais où le vin occupait une place centrale dans la vie des français. Au-delà du simple intérêt historique leur lecture permet de mieux comprendre comment se sont structurées, comment ont évolué aussi bien les ligues antialcooliques, les hygiénistes, la médecine de santé publique que les gens du vin. Le malentendu actuel se fonde sur le poids du vin dans la consommation de boissons alcoolisées, le fameux chiffre de la consommation moyenne, la base des buveurs chère à Sully Ledermann, qui en dépit de sa décroissance vertigineuse et surtout la modification radicale des modes de consommation, reste le socle fondateur des politiques de lutte contre l’alcoolisme. C’est une pure politique du rétroviseur qui ne tient aucun compte du non remplacement des gros buveurs et de la nouvelle hégémonie des occasionnels. Avec cette nouvelle base les risques d’addiction alcoolique sont structurellement minorés et la corrélation amoindrie, mais il est plus facile de vivre en maniant des images d’un autre temps que d’avoir le courage d’affronter la réalité.
Texte publié en 1926 sous le titre JUSTIFICATION de la publication de l’ALMANACH du FRANC BUVEUR
« Pourquoi publier encore un almanach ? Et pourquoi lui donner ce titre de mauvais ton alors qu’il semble nécessaire, de plus en plus, de plier le genou devant les tenants d’une excessive modération ?
La vague d’imbécillité, qui depuis la guerre nous roule comme des fétus, tend à rejeter bien loin, ur le sable sec des dunes, tous ceux que n’ont pas étouffés les flots d’une jouissance bestiale, ou les tentacules des pieuvres chimiques. Par crainte de se confondre avec les intoxiqués de tous ordres, les hommes sacrifient à l’idole Abstinence. Rééditant Gribouille, ils se privent de la vie pour ne pas risquer de la perdre. Entre les deux camps souffle une cruelle bise de mépris. Il faut être bien solide ou bien couvert pour n’y pas succomber.
Ainsi l’humanité court à sa perte avec le minimum jouissance, car si l’abstinent ne connaît qu’une joie sadique et malveillante, l’ivrogne gâte par sa brutalité les meilleurs plaisirs que puisse légitimement goûter la carcasse humaine.
Dans l’espace immense dégagé par ces deux troupeaux massés vers leurs pôles, nous avons la prétention de nous ébattre librement, goûtant la vie et ses trésors dans la mesure de nos moyens, sans qu’aucun plaisir ne nous impose le refus d’un autre. Vivre sans joie ou dans l’esclavage d’une passion, que les jours soient rares ou nombreux, ce n’est pas vivre, et nous retournons leur mépris à ces ilotes antagonistes annhilés par la bestialité ou par la peur.
Il est entendu que certains abstinents sont hors de cause, ceux dont le régime est exactement conforme au caractère et ne doit rien à une règle formulée ; mais pour les autres, dont l’action stérilisante et funeste pour l’esprit autant que l’alcoolisme pour le corps, mais pour tous ceux qui se sont jetés dans la dévotion, par crainte et par faiblesse, nous ne saurions avoir plus de considération que pour les faibles de l’autre bord, qui du moins n’ont pas menti à leur tempérament. Nous les fuyons tous également, pour vivre avec les hommes capables de vivre sans code, de boire à leur mesure ou à celle de l’occasion, jusqu’à se griser s’il échet, assurés qu’ils sont de reconquérir sans la moindre lutte leur équilibre intégral. »