Lorsque je suis arrivé en 1978 à l’Office des Vins de Table, ONIVIT, au 232 rue de Rivoli, rue prestigieuse s’il en était en ce temps-là car elle abritait dans les soupentes du palais Louvre le tout puissant Ministère des Finances. Nous, nous n’étions que les préposés à l’extinction d’un produit en voie de disparition : le vin de table, pompiers impuissants et vilipendés. Dans le tour de table du Conseil de Direction, un homme à l’accent rocailleux de l’Aude, se distinguait en contre-point de l’incontournable Antoine Verdale, président de la CN des Coopératives Vinicoles, audois lui aussi, de Trèbes, il s’agissait d’Yves Barsalou, de Bizanet. L’homme pesait déjà lourd à la tête de la puissante Fédération du Crédit Agricole et en étant l’inspirateur du Val d’Orbieu naissant. Comme j’étais un jeune loup plein d’ambitions - J les 2 audois, chacun à leur manière, me cultivèrent comme une plante en pot. C’est donc Yves Barsalou qui le premier me parla de Marc Dubernet et de l’œnologie et ce nom s’identifiera, d’une certaine manière, pour moi, à la transformation du Midi rouge campant sur son passé en un Langued’oc croyant en son avenir. Je suis sûr que l’ami Pascal Frissant, audois d’adoption, contestera, avec sa plume lyrique, son verbe fleuri, ce souvenir sans doute politiquement incorrect mais absolument pas irrespectueux de l’histoire de ce pays. La parole est donc à Marc&Matthieu Dubernet.
Question N°1 : Supposons que je sois un jeune bachelier passionné par le vin. Je cherche ma voie Sur le site du CIDJ je lis « L’œnologue, grâce à ses connaissances scientifiques et techniques, accompagne et supervise l’élaboration des vins et des produits dérivés du raisin. Sa principale activité concerne la vinification. Il conseille les viticulteurs dans le choix des cépages et la plantation des vignes. Il surveille les fermentations en cave, le traitement des vins et leur conditionnement. Il effectue des analyses et procède à des recherches technologiques visant à l’amélioration des cépages. L’œnologue peut également être chargé de la distillation ou fabrication des alcools à partir des marcs de raisins. Enfin, connaisseur et expert en dégustation, il participe à la commercialisation des vins en France et à l’étranger. En raison de la concurrence rencontrée désormais par la production française de vin sur le marché mondial, l’œnologue remplit une fonction stratégique pour le maintien ou l’amélioration de la qualité des produits de la viticulture française. »
Présenteriez-vous ainsi votre métier à une jeune pousse Marc et Matthieu Dubernet ?
Réponse de M&M Dubernet : La première chose à dire, c’est que le diplôme d’œnologue reste aujourd’hui un sésame reconnu pour les cadres qui veulent travailler dans la filière vin en France en particulier.
La définition que vous donnez, que nous partageons volontiers, montre avant toute chose la grande diversité des métiers exercés par les œnologues. Ces métiers font appel à des compétences très différentes. On peut alors se demander quel rapport y a-t-il entre l’œnologue analyste de laboratoire, manipulant des techniques analytiques de souvent sophistiquées, et l’œnologue parlant 4 langues, agent commercial d’une grande marque de Champagne ?
La réponse est simple mais bien large: le vin ! , et dans une certaine mesure l’exercice de la dégustation.
En fait le titre d’œnologue est devenu un socle commun générique, auquel pourront se greffer de nombreuses spécialisations, qui sont nécessaires au jeune diplômé qui désire postuler aux postes les plus intéressants.
La conséquence de cette situation est l’indispensable évolution et l’enrichissement du cursus même de la formation des œnologues, qui doit désormais inclure des spécialisations très fortes dans les domaines de la vigne, de la chimie analytique, de l’assurance qualité, du marketing, du droit, ou de l’ingénierie etc.…La réforme engagée récemment qui pousse la formation de 2 à 3 ans (niveau master) va dans ce sens.
Dans une entreprise de laboratoire conseil comme les laboratoires Dubernet, nous sommes fortement concernés par ce besoin fort de spécialisation. Les compétences de notre entreprise sont ainsi multiples :
- Œnologue conseil : expert en technique de vinification, de travail et assemblages des vins, il a une connaissance précise des marchés, il est une force de proposition accompagne les vignerons et les négociants, dans l’élaboration et le travail de leurs vins.
- Analyste : les techniques d’analyse œnologiques ont fortement évolué ces 30 dernières années et utilisent des technologies hautement sophistiquées et performantes. D’importantes connaissances en chimie analytiques, et un savoir-faire très pointu sont devenus indispensables pour répondre aux sollicitations d’un marché du vin toujours plus exigeant en termes de sécurité alimentaire.
- Recherche et développement : nous sommes en permanence attelés à des projets de recherche appliquée pour améliorer sans cesse l’outil de laboratoire, et apporter un service analytique toujours plus complet, rapide, économique et précis.
- Qualiticien : les laboratoires d’œnologie sont aujourd’hui pratiquement tous accrédité ISO 17025 (équivalent ISO 9000 pour les laboratoires dans le monde entier). Cette accréditation est une marque essentielle de garantie sur la qualité et le professionnalisme des laboratoires d’œnologie, reconnue dans le monde entier.
Question N°2 : « Monsieur Seignelet, qui avait assis Bertrand face à lui, donnait à mi voix des leçons d’œnologie, récitait des châteaux, des climats, des millésimes, émettait des jugements, prononçait du vocabulaire : puis il voulut enseigner à son fils aîné le rite grave de la dégustation. » Tony Duvert « L’île Atlantique » éditions de Minuit 2005. Dans le fameux manga « Les Gouttes de Dieu » « Le héros est présenté comme œnologue alors que manifestement c’est plutôt un œnophile doué et cultivé.
Quel est votre sentiment sur ce glissement sémantique Marc et Matthieu Dubernet ?
Réponse de M&M Dubernet : Savoir parler du vin est un art qui ajoute une dimension culturelle et profondément humaine aux métiers du vin. Il n’est pas réservé aux œnologues qui cependant doivent le faire leur. En revanche, son seul exercice n’autorise pas celui qui le met en œuvre de revendiquer le titre d’œnologue.
Question N°3 : Moi qui ne suis qu’un pur amateur aussi bien pour le vin, que pour la musique ou la peinture je place ma confiance non dans les critiques mais plutôt dans ma perception au travers de l’œuvre du génie du compositeur ou du peintre. Pour le vin l’affaire est plus complexe entre l’origine, le terroir, le vigneron, le vinificateur, le concepteur du vin, l’exécution est à plusieurs mains. La mise en avant de l’œnologue, une certaine starification, correspondant par ailleurs avec l’esprit du temps, à une forme de marketing du vin, ne risque-t-elle pas de nous priver d’une forme de référence objective, celle de l’homme de l’art, nous aidant à mieux comprendre l’esprit d’un vin ?
Réponse de M&M Dubernet : Cette dimension culturelle et humaine du vin ne peut pas s’accorder durablement avec une forme de pensée unique qui nous serait imposée par telle ou telle forme de globalisation. En prenant du recul, on voit bien que le système de starification n’est finalement qu’un phénomène mis en exergue par la loupe des médias. S’il a permis à quelques domaines de spéculer à la hausse le prix de leurs vins, c’est une bonne chose ! Mais ne nous arrêtons pas qu’à cela…
Les grands vins sont le fruit de la rencontre de cépages, de terroir, d’un millésime, d’un travail de longue haleine du vignoble, et d’une œnologie qui arrive en fin de compte pour aider à révéler les potentialités déjà présentes dans le raisin mûr. Pour nous, il est donc exagéré de dire l’œnologue conseil est « l’homme d’un vin » : il est un élément d’une chaîne de savoirs faire dont chaque maillon est indispensable. L’homme du vin, c’est le vigneron qui a su trouver les justes équilibres, et s’entourer des bons conseils, depuis l’implantation de son vignoble jusqu’à la mise en bouteilles. L’œnologue conseil, en coulisse, accompagne le vigneron dans l’élaboration de son vin, en lui apportant son savoir technique et scientifique.
Une fois le vin fait, le juge suprême reste le consommateur. Si certains peuvent penser que tout est sur l’étiquette, à terme c’est bien le vin dans la bouteille qui compte. Là encore, pas de pensée unique qui tienne. Le bon vin, c’est celui qui donne du plaisir à boire et à partager, au bon moment, et avec les bonnes personnes…