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18 novembre 2008 2 18 /11 /novembre /2008 00:05

« Face au terroir, plus l'homme se fait discret, meilleur est le vin » Stéphane Derenoncourt


Lundi, veille du 11 novembre, dans ma quête des réalités du terroir profond, j’ai pris matinalement le TGV pour Beaune afin d’aller à la rencontre de vignerons qui travaillent autrement. Des atypiques comme les vins qu’ils produisent. Mais, comme dans notre beau pays on adore cataloguer, classer, réduire les choix au binaire, pimenter le tout d’un bon zeste d’engagement, bâtir des chapelles, je dois vous prévenir que je n’appartiens à aucune coterie, mouvement et que je ne souhaite pas être annexé par qui que ce soit. Afin de bien être compris, les mots sont si commodes que certains prennent un malin plaisir à cacher sous eux des acceptions simplificatrices – je vous dois des explications à la fois sur mon intérêt pour tous ces vignerons qui revisitent leur métier et sur ma relative allergie vis-à-vis de la notion, très à la mode, de vin dit naturel. Pour les urbains, coupés du cycle des saisons, consommant de la nature en WE ou maison de campagne, ça signifie des vins qui se font tout seul, en toute liberté, des sauvageons, des vins libres. Ce n’est pas tout à fait faux mais ce n’est pas exact : la main de l’homme y est bien plus présente, constante, qu’il n’y paraît, même si elle se veut peu intrusive, plus accompagnatrice que directive. C’est sur cette geste attentionnée, ce « non interventionnisme » que je souhaite chroniquer ce matin après mes visites chez Alain Hasard à Luze. Mais avant d’en arriver là parlons de la Nature.

 

La nature, l’originelle, ce sont les forêts primaires, intactes, jamais exploitées ni fragmentées, indemnes de la main de l’homme, qui représentent le plus haut degré de naturalité. Même les prairies naturelles de mon bocage natal, chères à mon cœur d’ancien gardien de vaches, reste bien éloignée de la naturalité. Mais comme la nature est « tendance », l’appropriation du naturel par les défenseurs de la nature est une tentation de tous les instants. François Morel, dans son dernier opus « le vin au naturel » pressentant l’objection, s’en explique « On n’a peut-être jamais autant parlé de la nature que depuis aujourd’hui : depuis que, dans son complexe rapport à l’homme, elle apparaît menacée, voire en voie de destruction. Que l’homme soit partie intégrante de la nature, et en tant que tel agent essentiel de sa perpétuelle transformation, personne ne peut le nier. Au même titre que la dérive des continents ou la respiration des plantes. Mais l’homme est seul à avoir un pouvoir de choix ou de décision. Le sens des choix et des décisions est donc d’une importance fondamentale. Autrement dit, la nature n’existe pas en tant que donnée figée, définitive et immuable, elle est perpétuellement en train de se faire et l’homme en est indissociable. Elle est tout à la fois ce qui est donné et ce qu’on en fait.

 

[…] Pour les vignerons, dans l’immense majorité de ceux qui sont concernés, la référence à une conception « naturelle » du vin n’émane pas d’une théorie de « la Nature », bien hasardeuse. Elle résulte du choix d’une agriculture qui s’adapte aux écosystèmes, à l’opposé d’une industrie agro-alimentaire qui veut adapter les écosystèmes. Concrètement : une volonté de se démarquer de méthode de viticulture et de vinification qui multiplient les interventions et les traitements à tous les stades du travail de la vigne et de l’élaboration du vin et viennent modifier – dénaturer, donc – la subtile et complexe biochimie des constituants du vin par des intrants et des « produits chimiques » de plus en plus sophistiqués. Á l’opposé de la conception industrielle qui préconise engrais, pesticides, levures et bactéries « sélectionnées », sucre de chaptalisation, soufre, acidifiants et autres, il s’agit donc de la prise en compte de cette matière vivante qu’est le vin. Travailler à la qualité de la matière première plutôt que s’en remettre aux techniques correctives, s’attacher à des vins vivants. »

 

Tout ça m’irait fort bien sauf que je ne supporte pas que Morel force le trait en jetant dans la même cuve industrielle tous les vignerons qui n’empruntent pas les voies des vins au naturel qui sont tous, d’après lui, des stakhanovistes de la chimie, des dénatureurs, des insoucieux de la nature. C’est faux ! La réalité n’est pas aussi tranchée. Par bonheur la frontière est bien plus floue. Les pratiques pas aussi tranchées entre ceux qui « respectent les écosystèmes » et ceux qui voudraient soi-disant les adapter. Nous qui nous plaignons tant de l’ostracisme des hygiénistes à notre égard gardons-nous de faire comme eux des amalgames, de stigmatiser tout ceux qui ne sont pas de la même chapelle que nous. Ce n’est pas en se drapant dans une sorte de pureté doctrinale que l’on fera évoluer les mentalités.

 

Bref, je revendique le droit d’aller à la rencontre de tous les vignerons, d’établir des passerelles entre eux, de discuter sans arrogance avec les uns avec les autres. Le club « Sans Interdit » a été créé sur la base de cette philosophie. En me positionnant ainsi, pour les uns je suis le stipendié des vins industriels, pour les autres un bobo parisien qui défend les bio-bons et, pour ceux qui me lisent, je l’espère, une plume libre qui s’essaie à l’impertinence avec un peu de pertinence. Pour tout vous avouer, les qui me taillent des costards, je m’en tamponne la coquillette. L’important pour moi n’est pas de se contenter d’écrire des livres pour faire plaisir à ses adorateurs, c’est si facile, mais d’affronter le poids des conservatismes, de prendre en compte la complexité du réel, pour que notre grand vignoble généraliste retrouve ses équilibres en privilégiant, bien évidemment, la viticulture durable et le respect du terroir.

 

Ceci étant écrit, j’espère qu’on me fera crédit – François Morel, je le sais, ne m’en accorde aucun – de bien connaître les rapports de force qui existent dans notre viticulture, d’en cerner les contours, d’apprécier le poids spécifique des uns et des autres et d’être celui qui a cristallisé sur son analyse toutes les contradictions de ceux pour qui le terroir n’est qu’un fond de commerce commode mais sans réel contenu. Cette longue mais nécessaire mise au point étant faites j’en reviens à mon périple bourguignon qui m’amène aux confins sud de la Côte de Beaune, à Aluze,  au 9 rue des Roches Pendantes – j’aime trop pour me priver de le mentionner -  chez Alain & Isabelle HASARD. Nous sommes en Saône-et-Loire, à l’angle droit des vignobles de Rully et de Mercurey, en Côte Chalonnaise. B&D by Floch’ écrivent dans leur Guide 2008 : «  Alain Hasard est un « jeune » vigneron, puisqu'il n'est installé que depuis 1997. Faute de moyens au début, il s'est établi dans les méconnues Côtes du Couchois,  mais il se recentre depuis 2006 sur les Côtes Chalonnaises. Il travaille en biodynamie depuis 1999, et érafle ses rouges à 100%. »

 

« Voilà un vigneron qu'il faut suivre de tout près! » affirment nos 2 duettistes, dont l’un : Michel Bettane n’est pas toujours très tendre avec les bios, pour ma part j’ajouterais qu’Alain Hasard fait parti de ces hommes tranquilles aux fortes convictions mais qui ne vous les assène pas comme des vérités premières. Souriant, simple, précis, sans esbroufe il aborde son parcours d’ « étranger », ardennais, de famille génétiquement voyageuse, qui débute en  1997 dans le vignoble du Couchois qui écrit « l’Amateur de Cigares » de juin 2008 : «  est le plus mal connu et aimé de Bourgogne : il se situe dans un quartier vraiment perdu du nord de la Saône-et-Loire, à la limite de terres riches et grasses, faites pour les céréales ou la betterave. Alain Hasard s'y est installé, il y a une dizaine d'années, et a surpris le monde des amateurs par la vigueur et la netteté d'expression de ses vins rouges. Colorés, généreux, ils font regretter qu'il soit bien le seul dans le secteur à faire preuve d'idéalisme et de compétence » Dit comme ça, connaissant le peu d’appétence des gens du cru pour ceux qui viennent d’ailleurs et, qui plus est, ceux qui se permettent de faire autrement et de réussir, c’est-à-dire de vendre des bouteilles 20 euros, là où eux vendent en vrac au cours du tonneau, la vie des Hasard n’a pas du être simple tous les jours.

 

En écoutant Alain Hasard me décrire son approche peu interventionniste sur ses vignes, ses 6ha en fermage, je repensais au temps où je passais la décavaillonneuse dans les vignes du pépé Louis avec Nénette la jument un peu feignasse. Nous ne respections pas la nature mais nous faisions en sorte de l’amener à ce que la vigne produise les meilleures baies possibles. Nous faisions ce qu’il fallait faire sans plus. Et d’associer l’image de nos médecins modernes qui ne sont plus que des débiteurs d’ordonnances bourrées de médicaments.On bombarde au plus large sans se soucier des dégâts collatéraux. Bref,  nous étions comme monsieur Jourdain, nous étions bio sans le savoir ni le vouloir. Pour revenir à Alain Hasard, je crois que ce qui caractérise le mieux l’esprit de son travail c’est « en douceur ». Il observe ses îlots, une vingtaine, les travaille en fonction de leur profil, cherche les équilibres, personnalise ses gestes culturaux. Quel bonheur de l’entendre parler de son petit chenillard à guidon qui actionne les 2 moteurs, prototype d’un champenois, qui crabote, ménage les sols car il n’équivaut qu’au poids d’un homme de 80kg. Tri méticuleux effectué à la vigne par les vendangeurs, pour n’entrer qu’une vendange parfaitement mûre et saine. Fort de cette matière à haut potentiel qualitatif, les fermentations se déroulent selon le profil propre à chaque millésime, sans ajout ni manipulation. Des temps de cuvaison compris entre 6 et 10 jours permettent d’exprimer le meilleur du Pinot noir, finesse et d’élégance. Á noter, pour les rouges, l’utilisation d’un petit pressoir vertical manuel qui permet à Alain Hasard de travailler à sa main. Même précaution pour l’utilisation des fûts de chêne - chêne au grain fin en provenance de la forêt de Jupille dans la Sarthe – afin que laisser vivre les cuvées dans leur état nature.

 

Il ne nous restait plus, si je puis l’écrire, à constater les résultats du « principe de discrétion » en allant déguster les vins d’Alain&Isabelle Hasard. Je ne vais pas vous infliger mon point de vue car j’ai déjà été encore un peu longuet ce matin, mais je puis vous assurer que les vins sont élégants, raffinés, et à l’image de celui qui les a fait naître « en douceur » ils sont bien en phase avec leur terroir. Alain Hasard exporte 80% de ses vins si vous voulez y accéder allez le voir (cf. coordonnées ci-dessous) Nous avons aussi beaucoup discuté, Alain est un vigneron engagé à la Conf - salut Pascal - mais ça ne regarde que nous. Bien sûr quand le vin est bon et que la discussion roule, le temps ne compte pas et nous avons pris du retard avec notre horaire. Cap sur le nord de la Côte de Beaune pour d’autres aventures. Affaire à suivre…. pour une autre chronique sur mes riches heures en Bourgogne.

Nom du domaine

Les Champs de l'Abbaye

Adresse

9 rue des Roches Pendantes

Commune

Aluze carte

Département

Saône-et-Loire

Vigneron

Alain & Isabelle HASARD

Téléphone

03 85 45 59 32

Fax

03 85 45 59 32

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commentaires

E
<br /> Merci,<br /> Nous avons été, suite à la lecture de cet article, voir Isabelle et Thierry Hasard. belle rencontre, et beaucoup de chaleur dans l'accueil et les explications.<br /> Bravo donc, sachez que les vignes côté Couchois vont êter laissées por ce concentrer sur le versant Mercurey (notamment). A retenir, tout particulièrement, dans ce que j'ai regoûté le bourgogne<br /> blanc "générique", généreux et qui vaut largement que l'on s'y intéresse.<br /> Dans une région de bourgogne ou déguster des vins de bons vignerons devient trop rare, une étape délicieuse dans un joli village, qui plus est.<br /> <br /> <br />
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M
Chassez le naturel, et il revient au galop. <br /> Ce qui me touche le plus dans ce dense papier qui nous ramène aux sources, la Bourgogne, c'est l'approche de l'homme face aux vins qu'il aide à mettre au monde. J'aime cette façon qu'ont les Hasard d'observer leurs vignes, ce souci qu'ils ont de suivre la progression de leurs vins, de les assister sans les dominer, de les élever, de les comprendre. Les vignerons ne sont que des pères et des mères contents - et peut-être inquiets - de voir leur progéniture partir vers d'autres caves, d'autres cieux, d'autres tables. Pour ma part, c'est là que se trouve le côté "naturel" du vin. Et c'est vrai, force est de l'admettre, que c'est dans le monde de plus en plus vaste des vins "bios" et "biodynamisdtes" que l'on trouve le plus de ces personnages vibrants impliqués de manière intimistes dans le grand mystère du vin. C'est pourquoi je crois en la force de l'homme dans le terroir. Stéphane Derenoncourt et consorts pourront toujours conseiller de riches "néo-vignerons" issus de la banque, du commerce international ou de l'immobilier en leur vantant les mérites et la grandeur de leur terroir. S'il n'y a pas la dimension humaine derrière, s'il n'y a pas cette implication physique, il n'y aura au bout du chemin que des vins "bien faits", mais pas de ces grands vins émouvants que l'on prend plaisir à boire tout en en faisant profiter son corps et son esprit. OK, je me perds. Certes il y a le terroir. Mais sans l'homme, point de terroir. Vaste débat, n'est-ce pas ? Continue Jacques à nous transporter dans l'âme du vin.
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