À l’époque où j’étais au cabinet d’Henri Nallet, et que j’avais la haute main sur le secteur sensible et convoité des décorations, nous avons eu le grand honneur, si je puis m’exprimer ainsi, de proposer au président de la République d’élever Philippe de Rothschild au grade de Grand Officier de la Légion d’Honneur sur le contingent de notre Ministère de l’Agriculture. L’homme nous fascinait par son éclectisme, sa liberté et sa vision moderne du vin. Quelques années plus tard, en 2001, dans mon fichu rapport, j’ai eu l’outrecuidance d’écrire que le Mouton-Cadet du Baron Philippe, créé en 1932, était un exemple que certains auraient du suivre et, bien évidemment, cela m’a valu les flèches acérées des esthètes du vin. Bref, la maison « Baron Philippe de Rothschild » est pour moi une grande et belle maison et tout naturellement pour mes 3 mêmes questions à un œnologue j’ai sollicité Guy-Henri Azam, son homme du vin qui m’a de suite donné son accord. Sa position de Directeur Général, technique, négoce, démontre, s’il en était besoin, le rôle éminent des œnologues dans le pilotage des entreprises du vin. Lorsqu’il succède à Patrick Léon, en provenance du secteur coopératif, Guy-Henri Azam apporte, outre ses compétences professionnelles, sa parfaite connaissance des hommes et du vignoble bordelais. Il membre du Comité National Vins&Eaux-de-vie de l’INAO.
Question N°1 : Supposons que je sois un jeune bachelier passionné par le vin. Je cherche ma voie Sur le site du CIDJ je lis « L’œnologue, grâce à ses connaissances scientifiques et techniques, accompagne et supervise l’élaboration des vins et des produits dérivés du raisin. Sa principale activité concerne la vinification. Il conseille les viticulteurs dans le choix des cépages et la plantation des vignes. Il surveille les fermentations en cave, le traitement des vins et leur conditionnement. Il effectue des analyses et procède à des recherches technologiques visant à l’amélioration des cépages. L’œnologue peut également être chargé de la distillation ou fabrication des alcools à partir des marcs de raisins. Enfin, connaisseur et expert en dégustation, il participe à la commercialisation des vins en France et à l’étranger. En raison de la concurrence rencontrée désormais par la production française de vin sur le marché mondial, l’œnologue remplit une fonction stratégique pour le maintien ou l’amélioration de la qualité des produits de la viticulture française. »
Présenteriez-vous ainsi votre métier à une jeune pousse Guy-Henri Azam ?
Réponse de Guy-Henri Azam :
La définition que vous donnez de l’œnologue est assez exhaustive mais, peut-être même, trop exhaustive.
En effet, il est très rare qu’un œnologue cumule dans son activité toutes les fonctions que vous développez.
En général, un œnologue exerce son métier, soit avec une primauté technique, soit avec une primauté commerciale.
Dans le cas où l’activité technique domine, l’œnologue s’occupe en général davantage de l’aspect œnologique que de l’aspect viticole. Il semble que les nouvelles dispositions à l’octroi du Diplôme National d’Œnologue mettent plus l’accent que par le passé sur le volet viticole.
Hélas, il est relativement rare de voir un œnologue conseiller un viticulteur sur le choix de cépages, la plantation de vignes et, a fortiori, sur l’amélioration des cépages.
Pour l’œnologue à vocation commerciale ou technico-commerciale, compte tenu de son expertise en dégustation, il aura un rôle de plus en plus clé dans la commercialisation du vin.
L’on peut également parler d’une fonction stratégique pour l’amélioration qualitative des produits de la viticulture française, sachant que le maintien qualitatif sera désormais insuffisant.
Question N°2 : « Monsieur Seignelet, qui avait assis Bertrand face à lui, donnait à mi voix des leçons d’œnologie, récitait des châteaux, des climats, des millésimes, émettait des jugements, prononçait du vocabulaire : puis il voulut enseigner à son fils aîné le rite grave de la dégustation. » Tony Duvert « L’île Atlantique » éditions de Minuit 2005. Dans le fameux manga « Les Gouttes de Dieu » « Le héros est présenté comme œnologue alors que manifestement c’est plutôt un œnophile doué et cultivé.
Quel est votre sentiment sur ce glissement sémantique Guy-Henri Azam ?
Réponse de Guy-Henri Azam : Effectivement, dans le manga « Les gouttes de Dieu », il s’agit bien d’un œnophile doué et cultivé mais qui n’a rien à voir avec un œnologue.
On observe parfois un glissement sémantique du même ordre entre les termes sommelier et œnologue. Je ne vois pas en quoi l’enseignement du « rite grave » de la dégustation serait à confier nécessairement à l’œnologue.
Bien entendu, l'œnologue devrait faciliter la pérennisation des volets culturels et conviviaux fondamentalement représentatifs du vin.
Question N°3 : Moi qui ne suis qu’un pur amateur aussi bien pour le vin, que pour la musique ou la peinture je place ma confiance non dans les critiques mais plutôt dans ma perception au travers de l’œuvre du génie du compositeur ou du peintre. Pour le vin l’affaire est plus complexe entre l’origine, le terroir, le vigneron, le vinificateur, le concepteur du vin, l’exécution est à plusieurs mains. La mise en avant de l’œnologue, une certaine starification, correspondant par ailleurs avec l’esprit du temps, à une forme de marketing du vin, ne risque-t-elle pas de nous priver d’une forme de référence objective, celle de l’homme de l’art, nous aidant à mieux comprendre l’esprit d’un vin ?
Réponse de Guy-Henri Azam : Bien difficile de répondre en quelques lignes à un sujet qui mériterait des pages de développement (ce sera pour une prochaine fois !).
Pour ma part, je crois qu'effectivement le rôle des critiques vinicoles est totalement surestimé par rapport aux choix des consommateurs en termes de vins et, a fortiori, par rapport à la conception des produits.
Je partage tout à fait l'idée de ressenti d'un vin avant tout au travers de celui ou ceux qui l'ont conçu.
L'exécution à "plusieurs mains" est bien une réalité. Cependant, je simplifierai les intervenants clés en deux grands groupes :
- le premier que je dénommerai Terroir comprenant le sol, la climatologie, l'origine géographique, le vigneron et son savoir-faire
- et un second groupe, le Vinificateur-concepteur qui ne peut s'exprimer sans la prise en compte entière et complète du terroir.
La starification du métier d'œnologue dont vous parlez est tout à fait inéluctable dans ce monde de Marketing mais n'est-elle pas avant tout le fait des journalistes avides de ce phénomène ?
Le point important est que l'homme de l'art, star ou grand professionnel, par son intelligence sur la matière première, permet l'obtention de ce qu'il est possible d'obtenir de meilleur dans un contexte déterminé.
J'espère que mes réponses ne sont pas trop élitistes ou, en tout cas, qu'elles ne s'adressent pas qu'à la réalisation de vins d'exception ! En effet, l'œnologue doit également être capable de vulgariser son savoir et son savoir-faire à un plus grand nombre, y compris sur des vins « plaisir ».
Les vins icônes sont, ô combien nécessaires, mais ne sont appréciés à leur juste valeur que si de nombreux vins "populaires" de bon niveau qualitatif sont présents et consommés sur le marché désormais mondial.