Un de mes amis vigneron, la semaine dernière est revenu tout tourneboulé de chez son banquier. Le gars, d’ordinaire, décontracté et sur de lui, très golden boy de la City, qui tenait devant lui des propos truffés de mots anglais, du genre : « moi mon bon je traite sur les marchés OTC over the counter des credit default swaps CDS ou des collateralised debt obligations CDO et je dégage des retours carabinés. Vous avec votre jaja vous jouez dans la cour des petits bras, vous ne savez pas faire du profit, faire péter les compteurs… Même qu’il ajoutait avec hauteur face aux objections de mon ami vigneron, qui est un champion de l’exportation, que notre buisiness manquait de visibilité à moyen terme (sic)… » Bref, il le prenait pour un con. Alors, comme on n’est pas des gars à tomber en dépression on se contentait, quand il rentrait de Calyon, de s’envoyer des petits gorgeons au bistro du Patron. Quand on était un peu gais mon ami déclarait « un jour je lui dirai, de mon air le plus niais, que pour moi, bien sûr, le CDS c’était l’ancien parti de Méhaignerie et que toutes ses conneries ripolinés en rosbif de cuisine c’étaient tout bêtement du gré à gré comme sur le marché aux bestiaux de Parthenay et qu’au bout du bout, entre filous, y’en avait toujours un de lésé avec un grand B… »
Donc ce jour-là, balloté, comme un naufragé réfugié dans un canot Bombard, par le grand maelstrom de milliards, alors que ses idoles de Wall Street et de la City, ces jeunes et arrogants traders, tombaient de leur piédestal, que ses veaux d’or adulés, les fameux hedges funds domiciliés off shore (39% aux Îles Caïmans, 11% aux Îles Vierges) s’effondraient avec pertes et fracas, dans la bouche de notre gars la terminologie financière prenait des allures de nomenclature d’hygiène alimentaire : produits pourris, toxiques. Dans un état de déréliction avancé notre banquier psalmodiait sans rire que la crise financière allait gangrener l’économie réelle. Notre ex-timonier qui raillait nos petites boutanches exportées et trouvait que notre secteur manquait de visibilité, tout bêtement nous avouait qu’il naviguait dans l’irréalité. Terrible aveu que l’existence d’une économie « irréelle » ou « virtuelle » c’est plus chic. Le journal « Le Monde », plus sérieusement que nous, écrit noir sur blanc ce que nous pensions en buvant notre petit blanc : « les innovations financières des dernières années : investissements dans des produits titrisés opaques et toxiques, négociations de produits dérivés de gré à gré – hors les marchés organisés – pour spéculer sur les prix des matières premières, les taux d’intérêt, les risques de défaut de paiement, etc. »
Notre banquier, contrairement à la publicité de sa maison où le gars, avant de vous faire signer, derrière son bureau pousse un petit couplet du tube de l’été, a fait à mon ami vigneron une étrange déclaration «In girum imus nocte et consumimur igni.. » qui est un palindrome latin signifiant : « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu ». On aurait pu se le tenir pour dit mais, comme on est des gars qu’avons des lettres, nous on sait que Marcel Lapierre, au mitan des années 70, a croisé un certain Guy Debord qui lui faisait remarquer que « la vie d’ivrogne devenait difficile », et donc que « In girum imus nocte et consumimur igni » est le titre d’un film de Guy Debord sorti en 1978. C’est pour ça qu’on s’est écrié en chœur « merde ! Notre banquier est situationniste !»
Ceci dit, tout ça ne nous menait pas très loin car en ces temps chahutés où monsieur et madame tout le monde, hormis le fait qu’ils savent bien qu’un sou emprunté à ces messieurs les banquiers doit être remboursé rubis sur l’ongle avec intérêts, que le découvert y’a pas besoin de leur expliquer ce que c’est, face à cette volatilité qui leur semble un beau rideau de fumée, se disaient que nos « génies de la finance » les qui ont fait des choux gras en jouant l’argent des « courses » (les provisions pas le Tiercé) au Casino (pas celui de la GD), au lieu de nous la jouer la main sur le cœur « allez bonnes gens nous tenons tout sous contrôle » devraient nous expliquer pourquoi les Bourses s’effondrent. C’est écrit dans la presse britannique : « les hedges funds, ces fonds spéculatifs adulés des traders, sont en grande partie responsables du maelström boursier. À Londres c’est le sauve-qui-peut. Ils se délestent, en catastrophe et sans discernement, de leurs actifs en actions car ils sont pris à la gorge par la raréfaction du crédit. Leurs clients, les grosses fortunes comme les investisseurs institutionnels prennent peur et retirent leurs capitaux. En septembre, les sorties ont été estimées à 34 milliards d’euros. ¼ des 8000 hedges funds opèrent à Londres et selon le directeur de l’un des plus importants d’entre eux GLG Partners plus d’un ¼ disparaîtront « dans le cadre d’un processus darwinien ». Le rendement du secteur est tombé à 5% soit la plus mauvaise performance de leur histoire qui remonte à 1959. » On n’est peut-être des ignares mais dit comme ça on est tous capable de comprendre.
Vous allez me dire que tout ça ce ne sont que des élucubrations de buveur de Brouilly. Pas si sûr mes amis car il y a une poignée d’années me rendant à la Défense plaider un dossier de la wine industry, le Big chief, me répondit en soupirant « le secteur manque de lisibilité… » Sacré Édouard, dans sa retraite basque, il doit s’adonner à son loisir favori, la pêche au gros, en pensant que son successeur devait manquer de lisibilité quand il se goinfrait de « produits dérivés »…