" Aux premières lueurs du jour, son balai de bardeau emmanché dans ses robustes mains, il fait des lacets dans les rues, comme s'il devait faire se rejoindre les trottoirs devant lesquels il renvoie tout ce qu'il a trouvé sur son passage.
Puis, ensuite, avec la grosse clef pendue à ses côtés comme le trousseau d'un geôlier, il ouvre une bouche d'eau qui écoule dans le ruisseau, lentement, une eau claire qui file entre les pavés. Alors, surla chaussée il allonge son balai ; l'eau trace de géométriques festons, ramenant vers le trottoir des prospectus, des feuilles de salade et les peaux d'orange que la bouche d'égout pompe avidement comme un ivrogne, le goulot au bec, vide une bouteille.
Le balayeur, connu de son quartier, rend de petits services aux boutiquiers, donne un coup de fion à leurs portes et, s'arrêtant un instant chez le marchand de vins avec un concierge ou le facteur, il lampe volontiers un verre de vin bleu qui lui donnera des forces pour continuer la toilette de nos rues de Paris.
Il est toujours, paraît-il, plus de 50 000 postulants à cet emploi modeste, et les personnages qui disposent d'influence affirment qu'un siège de Conseiller d'Etat est plus facile à obtenir."
Extrait des Métiers de France Henri Boutet 1910
Texte découvert lors d'une visite à l'exposition sur la Brosse à la Bibliothèque Forney (j'y reviendrai un autre jour) à méditer en ces jours où l'on parle beaucoup des jeunes, de leur avenir, de leur qualification en acceptant de répondre à la question suivante : " lequel d'entre nous accepterait de dire : tu seras balayeur mon fils ou femme de ménage ma fille ? "