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19 octobre 2008 7 19 /10 /octobre /2008 00:13

Face à une défaite programmée, les haines réchauffées des gentils camarades de la rue Solferino et la navigation au jugé de la candidate ouvraient un boulevard au héraut d’une droite siphonnant le vivier du gros borgne, je m’étais retiré sous ma tente tout en suivant d’un œil distrait les soubresauts de la campagne. Le soir du premier tour tout était plié et l’absolue solitude, dans le décor minable de je ne sais quelle salle des fêtes de Melle, d’une femme aux abois, déjà blessée, désemparée, me donnait envie de lui écrire. Je l’ai fait. Avec une tranquille impudeur je lui confiais les phantasmes qu’elle m’inspirait. Pur produit de mon imaginaire cette cour pleine de douceur et d’attention, de gestes tendres, préliminaires à la pente infernale du désir m’échauffait. Elle se laissait entraîner jusqu’à sa couche glacée. Mes mains la défaisaient avec lenteur, le haut d’abord, puis à l’attaque des hanches elles devenaient pressantes pour déverrouiller ses multiples nœuds et briser ses rugueuses barrières. Je lui parlais. Les mots de ces moments-là ne s’écrivent pas et pourtant je les couchais sur le papier. Rien ne pouvait plus arrêter mes ardeurs. Je la laissais prendre son élan, s’ouvrir, quêter le plaisir, le diriger, avant de s’abandonner. Bien mieux que n’importe quel amant je cédais. Dominé, je la laissais me conduire aux portes de la jouissance. Là, je retrouvais mes instincts de mâle qui, pressentant la débâcle de la petite mort, se laisse aller à l’expression de sa puissance. Épuisé j’imprimais, sans la relire, ma lettre. La nuit m’engloutissait tout habillé. Au matin, un parfum et une douce tiédeur me tirait vers les rives de la conscience. On me donnait du plaisir. Je le laissais s’épandre dans le no man’s land de ce qui allait être une grasse matinée.

 

-         J’ai lu ta lettre…

La voix douce de Jasmine, sans doute calée dans le fatras d’oreillers dont j’adorais m’entourer, ouvrait une fenêtre dans ma douce torpeur. J’étais nu. Elle m’avait déshabillé. La tiédeur de la couette et la proximité de son corps m’incitait à ne pas quitter le délicieux entre-deux où le plaisir m’avait précipité. Je ronronnais de l’intérieur tel un vieux matou empli de satiété. Jasmine, du bout de ses doigts de pieds, réanimait mon désir d’elle. Je l’entendais me dire « c’est beau mais c’est trop tard… » Je grognais tout en saisissant l’une de ses chevilles pour m’attaquer à son point faible : la vallée de son petit doigt de pied. J’y lovais mon index. Elle soupirait « tu es un vil profiteur… » J’allais et venais. Elle relevait ses hanches et gémissait doucement « fais-moi tout ce que tu lui as écrit… » Dans mon demi-sommeil je trouvais l’énergie nécessaire pour lui répondre « entre le Plan et le Marché il y a le socialisme… » La célèbre phrase de Laurent le déplumé au Congrès de Metz laissait Jasmine de marbre. En proie aux premiers désordres qui conduisent à l’orgasme elle me houspillait « te défiles pas immonde salaud… je suis jalouse… une tigresse… je te veux… comme elle… » Le scénario était écrit je le laissai m’investir pour une Jasmine sans frontière. Après je ne sais plus, le silence des abysses m’a fait retrouver les délices de ma matrice première. Le fumet d’un café me fit émerger. Raphaël nous portait un merveilleux petit déjeuner sur un grand plateau en métal argenté. La journée s’annonçait belle, je m’offris une longue marche au long des quais. Avant de partir, je rinçai une bouteille vide de Bordeaux, l’égouttai puis, ayant rouloté ma missive, je la ficelai avec du raphia avant de l’introduire par le goulot. Dans le tiroir de la cuisine je dégottai un vieux bouchon à chapeau qui obstruait fermement l’orifice. La cire à épiler de Jasmine me servit à cacheter hermétiquement la bouteille.

 

Je l’ai balancé à la Seine sous le pont Royal et d’un pas léger je suis allé chez Galignani faire une razzia de livres. Une soudaine fringale de lecture m’était tombée dessus. Je m’offris un hot-dog au pied de la Grande Roue posée dans un jardin des Tuileries plein de poussière, de moutards tirés par de jolies femmes désœuvrées, de hordes de touristes drivés par des guides pressés, de provinciaux et de banlieusards en transit, de minettes court vêtue, quelques vieux aux chaussures avachies, des vendeuses avec de grands sacs d’où émergeait le col d’une bouteille d’eau minérale, des bureaucrates de la place Vendôme aux costumes sombres et cravates pétantes. Le souvenir des ombres furtives d’hommes cherchant un corps partenaire, évoquées par Modiano dans l’un de ses premiers livres, hantant à la tombée de la nuit ce lieu coincé entre quai de Seine et rue de Rivoli, me revenait à l’esprit. C’était bien avant la grande pandémie qui allait saigner à blanc une grosse et infâme tranche de jeunes hommes. Immonde saignée aux traces de cendres marquant une frontière entre deux mondes, l’un engloutit, l’autre, le nouveau atrocement indifférent à la malédiction des pauvres. Ma bouteille à la mer m’apparut ridicule. Ça l’était. Je traversai la Seine sur la passerelle qui fait face au musée d’Orsay pour gagner la rue de Solferino. Le décor kitch poitevin de la cour d’entrée pendouillait lamentablement, tous faisaient semblant d’y croire. Je croisai un vieux compère paysan des Deux-Sèvres qui s’épancha tristement dans mon gilet. La débâcle aurait le goût amer des règlements de comptes familiaux. Inexpugnables rancœurs, du vomi tout chaud, je regardais s’agiter toute cette flopée de jeunes sauterelles en me disant que nous étions vraiment une génération de vieux cons.

 

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