L’un de mes mentors, rue de Varenne, André Lachaux, aujourd’hui disparu, ancien administrateur des colonies, un de ces hauts-fonctionnaires à l’esprit libre et fécond, pragmatique, était fasciné par les belles mécaniques intellectuelles de nos interlocuteurs des Finances, on disait alors de la rue de Rivoli, et parmi eux plus particulièrement : Jean-Claude Trichet l’actuel patron de la Banque Centrale Européenne et Daniel Bouton le patron de la Société Générale. De beaux esprits certes, je les ai côtoyé, mais aussi, surtout chez le second, l’absolue certitude que leur supériorité intellectuelle était le garant de la justesse de leurs analyses. L’ingénierie financière n’a pas limite. Les plus belles et les plus savantes constructions sont possibles, reste à les vendre aux gogos avides de gains rapides et à deux chiffres. La « magnifique » mécanique des subprimes qui ébranle aujourd’hui la planète financière pousse la logique de nos beaux esprits jusqu’à son point absolu d’absurdité car nos génies de la finance se sont gavés de leur magnifique produit « pourri » à cracher du cash jusqu’à en oublier les risques qu’ils faisaient prendre à leurs entreprises. Même les prudents suisses s’y sont mis : UBS et chez nous, le bon sens prêt de chez vous, s’est aussi pris les pieds dans le tapis. Pour cette dernière, je n’ironiserais pas sur son exposition insensée, les pères du Mutualisme Agricole doivent tout de même se retourner dans leurs tombes. Bref, face à une telle débâcle, hormis nous indigner, qu’elle position à l’avenir adopter face à ceux qui, soyez en sûr, l’ouragan passé vont relever la tête et, sans vergogne, nous concocter de nouveaux plats juteux.
Permettez-moi ce matin de vous exposer la mienne. Lorsque je bourlinguais au cabinet, dans les réunions « interministérielles » à Matignon, face aux brochettes d’Inspecteurs des Finances, ma stratégie consistait, afin de contrer leurs imparables démonstrations, à faire « la bête », l’âne, genre « Paysan du Danube » - certains diront que ce n’était pas un rôle de composition, mais peu importe – d’attendre leur essoufflement, de leur poser des questions simples sur leurs modèles économétriques, sur leurs certitudes, de m’étonner de leur tranquille assurance, de m’en remettre en définitive aux bons vieux principes des « arbitrages politiques ». Ce n’était guère glorieux mais bougrement efficace et, aussi bizarre que ça puisse vous paraître, j’ai ainsi gagné l’estime et le respect de deux d’entre eux : le très sérieux François Villeroy de Galhau, qui sera ensuite de directeur de cabinet de DSK, et le très provocateur Guillaume Hannezo qui fut ensuite d'abord le génial ingénieur financier » de Jean-Marie Messier avant de sombrer avec lui. Et je reprends à mon compte ce bon vieux La Fontaine de mon enfance et la harangue au Sénat de son Paysan du Danube à propos des prêteurs :
« Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour.
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et, mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère
Il ne vous fasse, en sa colère,
Nos esclaves à votre tour.
Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome
La terre et le travail de l'homme
Font pour les assouvir des efforts superflus
Vos prêteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les ils ne nous apprendront
Que la mollesse et que le vice ;
Les Germains comme eux deviendront Gens de rapine et d'avarice. »
Comme le dit Antoine Bernheim, le président des Generali, qui n’est pas un perdreau de l’année « quand je ne comprends pas quelque chose, je ne le fais pas. » C’est tout bête mais c’est sain. Ne pas se laisser éblouir par la virtuosité de « survitaminés » de l’intellect, en revenir aux règles simples de l’économie domestique, compter, cesser de ne privilégier que le court terme, retrouver l’esprit de l’économie de la Cité : bâtir avant de jouir… La complexité de nos sociétés, l'interdépendance dans laquelle nous sommes de plus en plus enserrés, l'instantanéité, les "protections" omniprésentes, alors que l'individualisme triomphe, fragilise nos vies. Retrouver de l'autonomie, restaurer la responsabilité individuelle, ôser proner le retour du bien public, dans la tourmente actuelle, bien plus que des slogans électoraux, sont des valeurs civiques modernes.
Pour en finir avec mes élucubrations je vous recommande, dans la même veine, de lire un bijou de science-fiction : Big Brother 2012 paru dans le Nouvel Observateur, cosigné par Michel de Pracontal et Jean-Jacques Chiquelin en cliquant sur ce lien :
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2288/articles/a383178-.html