Chère Catherine M.,
Un ami commun, outré par une de mes chroniques, dont je reconnais qu’elle était un peu tirée par les cheveux, m’a envoyé un sms où il m’écrivait : Catherine M. est un grand écrivain, et il me conseillait de lire « Jour de Souffrance »… J’étais attablé à la terrasse de Terra Cotta, sur le port de Propiano, face à un pavé de Mérou, et un charmant rosé du Sartenais, et je lui ai répondu que je n’avais jamais mis en doute vos éminentes qualités d’écriture, que je lui concédais sans aucune réticence vos talents d’écrivain français, mais que mon irritation provenait du titre de votre opus et de sa médiatisation à la Houellebecq. Face à l'exploitation du marché de la souffrance je suis colère et pour me comprendre je vous recommande de lire ma chronique "Château de la Dégeulardière" (je fus le censeur de l'ARC post-Crozemarie) http://www.berthomeau.com/article-5341360.html
De l’entame de ma chronique, je ne retire pas un mot : « la complaisance, l’exhibitionnisme, l’étalage de ses malheurs, de ses souffrances sont, dans notre époque postmoderne, l’ordinaire des « grands » comme des sans-grades ; les premiers pour ce faire, ambition littéraire oblige, prennent la plume, se confient à Mireille Dumas et, bien sûr, vendent leur rata sur les plateaux littéraires ou au 20 heures ; les seconds doivent se contenter de servir d’attractions de foire, comme les femmes à barbe d’autrefois, chez le sémillant Delarue ou ses clones. Nos contemporains ont besoin d’émotions en barquettes prêtent à être réchauffées sur leur micro-ondes à écran plat. Voyeurisme minable qui sans doute les console de leur propre misère, de leur souffrance, de leur solitude : tous unis dans le malheur. »
Sur France Inter, alors qu’elle vous interviewait, une brave et besogneuse journaliste, s’extasiait à propos de « Jour de souffrance » : « quel beau titre ? » Et oui, chère Catherine M., que la souffrance est belle lorsqu’elle n’est qu’une volute, certes tranchante comme le fil d'un rasoir, sur son bel amour-propre. Je crois, pour avoir vécu ces moments où l’on est pris à son propre jeu, qu’on s’en remet très facilement et que la cicatrisation ne laisse que peu de trace. Petits malheurs que ceux du cœur même si ensuite, plus rien n’est tout à fait comme avant.
Dans ma chronique, je vous avais associé à ce « pauvre Chabalier » dixit notre ami commun. Pourquoi diable me direz-vous ? Je prévenais l’objection : « Millet, Chabalier, quel rapport ? » en ajoutant avec un soupçon de goujaterie : « Vous avez noté je l’espère tout le suc de ce singulier ». Ma réponse n’a rien perdu de sa pertinence : « Ce sont tous deux des icones médiatiques, des intouchables, des qui passent à la télé quand ils claquent des doigts. Ils font de l’audience Coco ! »
Comme vous, il y a quelque temps, ce cher homme fut omniprésent pour nous vendre sa souffrance, une souffrance bien réelle. Dans son livre « Un dernier pour la route » – qui devrait être porté à l’écran dans les mois qui viennent – il nous a abreuvé pendant des semaines de sa souffrance d’alcoolique pour ensuite, fort de son abstinence toute neuve, se voir confier par le sémillant et inconstant Douste-Blazy la rédaction d’un rapport sur l’alcoolisme dont il avait assuré, avec son beau carnet d’adresses, la promotion médiatique. Omniprésent, repenti vindicatif, donneur de leçons, ce cher homme, investi d’une mission quasi-divine, nous a pris la tête avant de s’en retourner à son biseness de fabricant d’images chocs pour des télés paresseuses et si peu soucieuses de l’héritage des pionniers de 5 Colonnes à la Une.
Vous allez m’objecter, chère Catherine M, que vous mettre tous les deux dans le même sac c’est aller bien vite en besogne et mélanger les torchons et les serviettes. J’en conviens mais, comprenez-moi, les bien-pensants, ceux qui ont poussé des cris d’orfraies face à la « débauche » de la vie sexuelle de Catherine M. nous étiquettent, nous les gens du vin : « pourvoyeur de malheur et de souffrances » en nous jetant à la gueule pêle-mêle : la souffrance des femmes battues par leur poivrot de mari, celle des parents des victimes d’un gus bourré au volant de sa bagnole, celle de l’alcoolique lui-même et de sa famille, le coût social. Amalgame, statistiques orientées, pseudo-loi de Ledermann, qualification de « drogue légale », montrés du doigt par les « n’y touchez jamais… »
Alors, comprenez-moi encore un peu, lorsque je vois la complaisance des médias à l’égard d’un cher confrère, touché de plein fouet par le malheur, je suis exaspéré. Que la souffrance de Chabalier fut réelle, que celle qu’il infligea à ses proches fut sûrement difficilement supportable, j’en suis intimement convaincu. Qu’il veuille en porter témoignage je lui accorde. Mais de là à s’ériger en donneur de leçons alors là je m’insurge. Les ex n’ont pas à se draper dans leur malheur pour pourrir la vie de ceux qui, comme moi, stressés, exposés, tentés, amateur de bonne chère et de vin, n’en sont pas pour autant devenus des alcooliques. Tous ces ex ramenards m’emmerdent. Je trouve qu’ils font peu de cas de leur part de responsabilité, s’exonèrent trop facilement de ce qu’il faut bien appeler par son nom : leur faiblesse. En écrivant ceci je ne leur lance aucune première pierre, nous avons tous des faiblesses, y compris génétiques : nous ne sommes pas égaux face à l’alcool, mais de grâce que ceux qui, pour de multiples raisons sont devenus alcooliques, une fois sortis de leur addiction, restent modestes, nous épargnent leurs prêches sur les bienfaits de la pure abstinence.
Là, je sens, chère Catherine M, que vous vous dites « mais qu’est-ce que je viens faire dans cette galère ? » Dégât collatéral de votre omniprésence médiatique, exaspéré par les chère Aude « passez-moi le sel », les cher Jérôme passez-moi les boudoirs, les Inroks,le NO et tous ces tombereaux de complaisance. Ne soyez pas dupe, et je sais que vous l’êtes pas vous qui connaissez si bien le marché de l’art, votre livre, comme votre précédent l'est devenu, est un pur bien de consommation – et ce n’est pas sous ma plume un reproche mais simple constatation – dont vous faites la promotion. Et, je vous l’avoue, le nombrilisme ambiant dans la production littéraire de notre beau pays m’exaspère ; tout comme l’insignifiance des scénarii des films français. Alors je me vois contraint de lire et de voir la production « étrangère » où l'on rencontre des oeuvres. Avec votre talent de plume, laissez aller votre imaginaire, débridez votre petit cercle, laissez de côté votre cher Jacques, de grâce Catherine M. offrez-nous un grand roman !
Voyez-vous, chère Catherine M. quand j’entends un gus bramer « qu’il est pris en otage » parce que la CGT bloque pour la nième fois le RER, je sors mon Jean-Paul Kaufmann. La valeur des mots, leur poids sont incontournables. Pour moi la souffrance c’est celle des gamins aux crânes lisses de l’Institut Curie, pas la vôtre chère Catherine M., si douce, si soluble dans l’écriture et si facile à promouvoir auprès de la petite république des lettres. Ce n’est pas faire injure à votre talent que de l’écrire mais simplement, dans le concert de louanges, faire entendre une petite musique différente : celle de ceux que l’on n’entend jamais nulle part car ils s’en tiennent à un silence douloureux.
Alors, chère Catherine M., je laisse Chabalier à son nouvel apostolat et, pour combler notre ami commun, je lève mon verre de nectar ambré au plaisir des dieux...
Jacques Berthomeau