Pour moi Paris-Nice c’était, quand j’étais en culotte courte, une course cycliste de début de saison qui ne partait jamais de Paris mais qui arrivait quand même à Nice. En ce temps-là je suis monté à Paris mais je ne suis jamais descendu à Nice l’idée ne m’a même pas effleuré même si j’aimais bien le maillot de l’Olympique Gymnaste Club de Nice qui ressemblait à ceux des clubs sud-américains. Plus tard j’ai lu la saga de Max Gallo, l’écrivain qui écrit plus vite que les poules en batterie ne pondent, « La Baie des Anges » en 3 volumes puis, en 1981, j’ai croisé Jean-Hughes Colonna député niçois de la vague rose dans les couloirs du Palais Bourbon. Enfin, avec Henri Nallet je suis allé conclure et signer avec Philippo Pandolfi un traité franco-italien sur le vin dans l’ancienne préfecture du vieux Nice. Bref, je n’ai rien contre la ville de Nice et son aéroport gagné sur la mer mais, pour moi, elle est un peu le pendant d’Angoulême : Jacques Médecin et Jean-Michel Boucheron même combat via un petit séjour en Amérique du Sud.
Donc jusqu’à ces derniers jours je vivais fort bien ma vie de parisien privé de TGV terminus Nice lorsqu’on m’est tombé dessus pour me dire que nos grands ingénieurs des Ponts et Chaussées, sans doute lassés de parsemer la France profonde de giratoires aussi nombreux que couteux, avec leurs frères de sang d’un machin dénommé RFF (Réseau Ferré de France) qui est le nouveau gouffre de Padirac de la SNCF, sûrs et dominateurs, tiraient au droit une nouvelle ligne de TGV qui, m’écrit-on, va bousiller un beau paquet d’ha de vignes, défigurer le massif de la Ste Victoire et engendrer toute une série de joyeusetés qui accompagnent partout et en tout lieu le TGV. Très subtilement on me suggère que mon engagement sans faille pour le terroir me fait obligation de soutenir la pétition et que peut-être même qu’une lettre ouverte au PDG de RFF, un X Pont passé par Sciences-Po et ex-patron d’Aéroport de Paris. Pour ça je pourrais peut-être consulter le premier patron de RFF Claude Martinand, ingénieur général des ponts et chaussées qui dénonçait « la dérive technicienne de la SNCF » et qui, à propos du lancement des lignes à grande vitesse, déclarait en 1997 qu’il faudrait lui expliquer pourquoi le prix du kilomètre est passé, en francs constants, de 25 millions (TGV Sud-est) à 75 millions (TGV Méditerranée). Pas simple. Ancien communiste, véritable père de la loi sur les transports intérieurs (la Loti) élaborée alors qu'il était directeur de cabinet de Charles Fiterman, Martinand est un as de la dialectique.
Avant d’aller plus avant je vous dois une mise au point :
- J’adore le TGV jusqu’à Avignon,
- Je considère Nice – que les bons Niçois me pardonnent – comme un non-lieu, une sorte de cul-de-sac se jetant sur une Promenade où y’a même plus d’Anglais,
- J’ai toujours eu grand plaisir à faire la nique à nos grands ingénieurs des Ponts et Chaussées,
- Je suis allergique aux pétitions donc vacciné (je m’en expliquerai tout à la fin),
- Je pense que l’intérêt général doit toujours prévaloir sur les intérêts particuliers mais encore faut-il que celui-ci ne se résume pas dans la seule expression de la caste des Ingénieurs et que les enquêtes publiques soient réalisées dans la transparence et une réelle publicité auprès du grand public,
- J’ai un goût immodéré pour les combats qui semblent perdus d’avance…
Je commence par les pétitions. C’est un truc très français : on se fait plaisir pour une efficacité très faible. L’Administration sait fort bien laisser du temps au temps, épuiser ses contradicteurs, diviser pour régner, attendre. La seule arme qui dérange ce monstre froid c’est le recours au Droit. Tous les grands projets sont truffés d’abus de droit, de non-respect des lois, de procédures bâclées, etc.
Au temps où j’habitais à La Chapelle-en-Serval, dans une magnifique forêt, j’ai, avec l’aide d’un ami Ingénieur, fait échouer un projet pharaonique de déviation 2x2 voies qui éventrait le massif sur 5km, gaspillait l’argent public, simplement en épluchant le dossier et en mettant en exergue les petits arrangements de la DDE avec le droit forestier. Le dossier est allé jusqu’à Matignon. Le préfet de l’Oise, ex-directeur de cabinet du Ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré, est venu en personne essayer de nous convaincre. L’Elysée nous a dépêché un émissaire car mon propriétaire était un grand collectionneur d’Art Premier. Les élus sont allés voir mon Ministre pour dénoncer mon action. Le puissant directeur des routes, Christian Leyrit (surnommé depuis en Corse le préfet brushing, il a quitté Ajaccio il y a quelques jours juste avant l'affaire) nous vouait aux gémonies. Dix ans après, lorsque je passe à la Chapelle-en-Serval je suis heureux en contemplant ma belle forêt et en constatant que le projet alternatif que nous préconisions par Plailly, dans la plaine, à la sortie de l’A1, est en route si je puis m’exprimer ainsi.
Donc, si j’ai un conseil à donner, moi qui ai pratiqué la haute-administration de l’intérieur et qui connais bien son mode de fonctionnement : les pétitions c’est sympa, les manifs aussi, mais dans la rude bataille rien ne vaut les armes lourdes du Droit. Un bataillon de bons juristes est bien plus efficace à long terme qu’une bordée de signatures et que plusieurs milliers de manifestants (je parle d’efficacité et non d’utilité). Enfin, il faudra qu’on m’explique comment une société comme RFF endettée jusqu’aux oreilles peut encore emprunter de l’argent pour ses projets pharaoniques ? Ne serait-ce pas du fait de la garantie de l’État, un État lui-même pas au mieux de sa forme dans ce domaine ? Ne continuons-nous pas de vivre un peu au-dessus de nos moyens ? Nous ne sommes plus au temps des chemins de fer mais à celui de la concurrence rail-aérien, rail-autoroutes, alors la notion de Bien Public et de l’utilité publique est d’une toute autre nature.
En vrac maintenant :
Avez-vous pensé à alerter cette chère NKM protectrice de l’Environnement qui, est-il utile de le rappeler après l’X a intégré le Corps des IGREF (le Génie Rural et les Eaux et Forêts) qui va fusionner avec celui des Ponts et des Chaussées dans le cadre de la fusion des DDAF et DDE ?
Puisqu’il existe me dit-on un puissant lobby de défense des AOC dénommé CNAOC et présidé par un proche voisin de Tavel, j’espère qu’il sera à vos côtés pour peser de tout son poids dans cette rude bataille ?
En écrivant cela je ne suis pas totalement innocent car dans ce type de bataille les décideurs publics sont à la fois sensibles à la pression de l’opinion publique et au poids de leurs électeurs. Dans le cas présent, il me semble évident que nos grands Ingénieurs de RFF comme ceux de l’Équipement se soucient comme de leur première chemise des quelques hectares d’AOC sacrifiés, ils préfèrent le béton au terroir mais, qu’en revanche, en alliant un harcèlement juridique pertinent à une sensibilisation du grand public en jouant au-delà du localisme sur ce qui le touche vraiment : la Sainte Victoire par exemple, le projet pourrait subir les inflexions souhaitées. J’ai dans mon souvenir le sourire narquois et l’attitude condescendante du DDE de l’Oise lorsqu’il prit connaissance de notre dossier : combien de divisions ? Et pourtant ce cher homme fut, lui et ses services, battu en rase campagne (il s’en fichait un peu venant d’être nommé à la DRE de Corse). Même si j’adore m’engager dans des batailles incertaines, ce que j’aime par-dessus tout c’est le goût incomparable de la victoire. Alors, même si je suis un peu chiant avec mes conseils, mais c’est mon espace de liberté, je pense avoir répondu à ceux qui sollicitaient mon engagement.
Pour terminer cette déjà fort longue chronique quelques mots sur mon allergie vis-à-vis des pétitions. C’est la conséquence de ce que j’ai vécu dans mes jeunes années dominées par la toute puissance des tenants du marxisme : les communistes et leurs compagnons de route. Ne pas signer avec eux c’était être contre eux, et bien sûr être l'allié objectif de leurs adversaires, pur terrorisme intellectuel. La plupart d’entre eux sont aujourd’hui soit des repentis ou soit des renégats qui tiennent toujours le haut du pavé de l’intelligentsia parisienne qui refait le monde sur les bords de la Rive Gauche, la caste des intellectuels piliers du Flore ou aux 2 Magots, ceux que les gens de droite dénomment dédaigneusement intellectuels « de gauche », gauche caviar ou bobo, rien que de belles âmes, rien que de beaux esprits qui squattent les plateaux télés, qui pondent des points de vue pour Libé ou le Monde, qui sont toujours prompts à se mobiliser pour des causes lointaines ou à signer des pétitions de soutien à X… ou Y…, en cet été c’est pour ou contre le vidage Siné de Charlie-Hebdo. Des circuits bien huilés existent avec des premiers signataires médiatiques, ceux qui sont en gros et en gras, qui attirent le menu fretin genre prof de philo à Romorantin ou psycho-sociologue à Landerneau. Bien évidemment, il s’agit là de l’aristocratie de la pétition, de la crème, qui n’a rien à voir avec les gugusses ou les nénettes qui vous harponnent dans la rue pour que vous apposiez votre signature pour des causes ou des soutiens les plus divers. Voilà pourquoi je ne pétitionne pas ce qui ne m’empêche pas de situer mon soutien sur le terrain que j'ai choisi. Une anecdote : la seule grande pétition que j'ai vu faire reculer le pouvoir c'est celle des happy few de Paris contre la délocalisation par Edith Cresson Premier Ministre de l'Ecole Vétérinaire de Maison-Alfort : les toutous et les chats ont plus d'amis que le Terroir...
Les liens :
www.lemechanttgvpaca.free.fr
http://www.lapetition.com/sign1.cfm?numero=1865