Ce matin je ne vais pas jouer à l'ancien, genre "parrain", celui qui un beau jour de juin 1988 accueillait dans son bureau le jeune et sémillant Alain Berger en provenance de l'INAO pour qu'il prenne en charge le portefeuille des productions végétales, donc la viticulture, au cabinet d'Henri Nallet. Le président de l'INAO m'en avait dit grand bien. Je connaissais le portefeuille puisqu'il avait été le mien avec Michel Rocard et je venais de passer presque trois années à la Société des Vins de France. Les accords de Dublin commençaient à produire leurs effets sur la viticulture languedocienne. Le dossier viticole n'était plus aussi chaud mais se profilait une présidence française à Bruxelles où nous avions l'intention de mettre le dossier de nos AOC en avant. Bref, le jeune homme se révéla plein d'allant et de punch. Il fit son trou avec brio. Son beau parcours le destinait tout naturellement à devenir le directeur de l'INAO. Avec la loi de 1990 nous fîmes le ménage dans nos différentes formes de reconnaissance de l'AOC et intégrions les produits laitiers à l'INAO, puis à Bruxelles les notions d'AOP et d'IGP étaient reconnues pour que nous puissions mettre le dossier sur la table du GATT devenu OMC. Nous avons été des précurseurs même si nos enfants n'ont pas toujours été traités comme nous l'aurions souhaité. Et puis un jour Alain osa dire sur nos AOC vins ce que certains ne voulaient pas entendre dire. On le pria d'aller s'occuper des poissons à l'OFIMER. Par la suite il fit le directeur de cabinet de Jean Glavany Ministre de l'Agriculture qui me passa commande du rapport. Puis ce fut l'Inspection Générale de l'Agriculture, l'Interprofession des Fruits et Légumes et récemment le voici devenu Directeur des Services du département de l'Indre-et-Loire. Beau parcours que voilà et la gentillesse de distraire un peu de son temps pour répondre à mes 3 Questions. Merci Alain.
1ière Question:
Alain, sans te couvrir de fleurs, car certains m’accuseraient de connivence, tu es considéré, y compris par tes détracteurs, comme un Directeur de l’INAO qui a marqué son passage dans la « vieille maison ». Ta conception de l’AOC t’a value d’aller planter tes choux ailleurs – même si c’était des poissons – alors maintenant que tu fais dans les fruits et les légumes, avec le recul et la distance que ça te donne, livre-nous ton analyse de la dérive des AOC. Pourquoi et comment a-t-on pu en arriver là ?
Réponse d’Alain Berger :
J’ai toujours considéré l’AOC comme la plus belle façon de faire parler un territoire, ou, pour être plus techno, un « terroir », fait de son sol, son sous-sol, son climat et de ce savoir faire de générations d’hommes et de femmes qui ont trouvé la meilleure façon de faire vivre en symbiose l’homme et son territoire… La vigne avec ses cépages et ses pratiques viticoles et œnologiques, la production laitière avec ses races de vaches, et ses pratiques fromagères, etc.
Mais le respect des terroirs et de l’intégrité de leur expression au travers des produits qu’ils génèrent suppose diversité, hétérogénéité, aléas ; nous sommes trop loin des logiques dites modernes de rémunération qui demandent homogénéité, maîtrise et volume. Cette fameuse mondialisation supposée être l’avenir incontournable de l’humanité a substitué le modèle « Parker » au goût quasi monopolistique, à cette diversité faite d’humilité et d’aléas. Et pourtant, puisque nous sommes plus dans l’univers artistique qu’économique sensu stricto, que de modernité dans ce concept d’AOC. Quand on dit que le principe d’AOC est ringard, ou qu’il constitue un obstacle au développement économique, ce n’est que l’expression d’une profonde méconnaissance de sa réalité : on ne le regarde que selon des logiques « industrielles » de « prêt-à-porter » ! Je maintiens que ce concept reste aujourd’hui le meilleur outil de résistance des territoires à la délocalisation et à la banalisation ; il est le meilleur outil de préservation de la rémunération potentielle de nombreux terroirs.
Trop souvent, l’AOC a été décriée alors que son mode d’emploi n’avait pas été respecté !Quand vous n’arrivez pas à faire fonctionner votre portable, vous ne le jetez pas à la poubelle : vous lisez la notice !
2ième Question :
D’après toi, à dire d’expert, de bon connaisseur des hommes et de nos clochers, que faut-il faire pour que notre grand vignoble généraliste puisse conjuguer tous ses atouts, éviter la délocalisation d’une part de la production, boxer à armes égales dans toutes les catégories : des petits aux grands et aux très grands, pour redonner à certaines de nos AOC leur crédibilité ? Les réformes internes engagées vont-elle dans le sens que tu souhaites ? La nouvelle OCM vins va-t-elle profondément bouleverser la donne ?
Réponse d’Alain Berger :
J’avoue très sincèrement m’être éloigné de la réalité viticole immédiate et de ses préoccupations du moment. Peut être parce qu’une partie significative de cet univers, comme tu l’as souligné tout à l’heure, m’a demandé de planter mes choux ailleurs. Pour moi, il n’y a pas de solutions universelles, seulement quelques principes de base à respecter : l’AOC n’est pas la solution unique ; elle est, par nature, faite d’exceptions. Le vin « œnologique » a autant de raisons d’être que le vin de terroir. Quand on est « petit », il faut savoir préserver et entretenir son identité sans chercher à vendre sur tous les marchés. La logique de volume doit nécessairement donner la préférence à la marque plutôt qu’au terroir…etc.
3ième Question :
Alain, tu as laissé dans notre petit monde du vin, le souvenir d’un amateur éclairé, d’un bon vivant, dis-nous ce que le vin représente pour toi ? Comment y es-tu venu ? Quels sont tes goûts ? Tes préférences ? Tes coups de cœurs ? Nous allons boire tes paroles.
Réponse d’Alain Berger :
Comme je l’ai déjà dit, avant d’être un produit, le vin c’est d’abord un terroir, une histoire, des hommes avec leur passion, de la découverte. J’y suis venu par la Recherche, à l’INRA ; je voulais comprendre en quoi le concept d’AOC permettait à des régions de se développer. On me parlait de rente institutionnelle, et j’ai vite compris que c’était beaucoup plus subtil. Il suffisait que des hommes d’un terroir refusent de copier sur leurs voisins, en puisant chez eux leurs potentialités de développement.
Et je suis allé à la découverte des terroirs... En fait, je vais souvent de coups de cœurs en coups de cœurs, même si je reste fidèle à quelques uns. Il s’agit toujours de vins dont je connais le vigneron, en Bourgogne, du coté de la Côte de Nuits, dans les Côtes du Roussillon, en Corse. Aujourd’hui, je découvre de superbes Bourgueil. En revanche, je fuis les vins dits « d’élite », peut être parce que je reste convaincu que la logique du modèle imposé à tous est incompatible avec le respect du concept d’AOC. Je considère que l’univers du vin devrait être une formidable école d’humilité : chacun peut trouver son plaisir, sans être l’amateur dit « éclairé ».