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7 septembre 2008 7 07 /09 /septembre /2008 00:01

Pendant que certains de mes « camarades » croupissaient déjà dans les geôles de Marcellin, moi, lové dans un peignoir de bain floqué aux armes du Savoy de Londres, pomponné, huilé, je suivais pas à pas Chloé dans sa quête de fringues pour notre sortie de ce soir ; une réception dans un hôtel particulier du VIIe, soit le comble, la quintessence de la vanité et de la vacuité de cette haute-bourgeoisie friquée et honnie que nous étions censée combattre. Nous avions une belle excuse, que nous ne revendiquions même pas d’ailleurs, notre hôte, le totalement foutraque, Jean Edern Hallier, était estampillé compagnon de route de la GP.  La pièce où nous nous trouvions, sans fenêtre, éclairée par des néons pendus à des filins d’acier, tenait de la caverne d’Ali Baba : au centre des enfilades de vêtements pendus à des cintres ; sur tout un pan de mur des boites à chaussures empilées ; en vis-à-vis sur des guéridons, en des corbeilles d’osier, des colliers, des boucles d’oreilles, des ceintures, des bas, des porte-jarretelles, des slips et des soutien-gorge, des guêpières, des chapeaux, des foulards, des boas et tout un attirail sado-maso ; enfin sur une longue planche posée sur deux tréteaux un déluge de fards, crèmes, parfums et autres ingrédients de maquillage dont raffolent les filles. Chloé voletait, je la sentais oisillon paumé en mal de protection, ses grands yeux quêtaient les miens, ses mains parfois tremblaient, hésitaient et son grand corps, comme s’il était face à un obstacle imprévu, se cabrait.  

« Aide-moi beau légionnaire, je n’ai jamais su choisir…

Habiller une fille pour la sortir, l’exposer en public à son bras, relève d’une forme jouissance de la plus haute perversité. D’ordinaire, les femmes décident de ce qu’elles veulent montrer ou cacher et, en dépit des glapissements féministes sur le thème : nous portons des strings pour nous faire plaisir, ce que les femmes montrent c’est ce qu’elles exposent d’elle-même pour que ce soit vu et, ce qu’elles cachent à peine sous des robes moulantes, courtes ou fendues, c’est ce qu’elles offriront à celui ou à celle qui saura leur plaire ou sur lequel elles auront jeté leur dévolu. L’histoire des gorges pigeonnantes, des culottes fendues, des voiles et des bas est là pour en témoigner. Dans le jeu de la séduction la femme tient toutes les cartes maîtresses et surtout, presque toujours, c’est elle qui choisit. Habiller Chloé me comblait. Avec elle je me sentais libre de  mes choix puisqu’entre nous deux le seul lien existant était le n’importe quoi  ou plus exactement comme j’étais allergique à l’utilisation de toutes les formes d’adjectifs de possession, je me contentais de son prénom. Elle, avec son beau légionnaire, avait opté pour la dérision. Le vêtement étant la seconde peau, celle qu’on choisit, je n’eus aucune peine à assembler dans ma tête celle de Chloé. Pour le haut, une pure merveille de chic provoc : un petit débardeur noir tricoté à collier de chien clouté de billes d’acier, dont Vivienne Westwood fera plus tard l’un de ses musts. Je tirais ainsi les regards vers le si beau cou de Chloé, et oublier ses épaules étroites et sa poitrine plate. Pour le bas, un short bouffant en satin noir s’imposait : les compas de Chloé et sa taille de guêpe en étaient magnifiées. Restait le choix des chaussures. Complexe eu égard à la pointure de l’asperge : 40, tout me semblait lourd et emprunté jusqu’à l’instant où, ayant vissé sur les cheveux courts de Chloé un bonnet de feutre noir, l’évidence des ballerines de danse s’imposa.

 

Anna, l’épouse d’Edern, nous reçut avec beaucoup de gentillesse. Italienne comme Chloé, riche héritière, elle se mouvait dans cette étrange assemblée avec un détachement amusé. Elle complimenta Chloé pour sa tenue et s’attira cette répartie : «  Chère Anna, il me voit belle, il me veux belle, alors il me fait belle, il est exceptionnel mon beau légionnaire… »  Avec mon Perfecto et mon jeans je faisais un peu tache à coté d’Edern qui lui arborait ce soir-là une chemise blanche à jabot très Mick Jaeger sous une veste en soie jaune canari, mais ça excitait plutôt la concupiscence d’un cheptel féminin tendance Simone de Beauvoir non révisée, bandeau et morgue incorporée. Le champagne coulait à flot et c’est la première fois de ma vie où j’ai mangé du caviar. Jean Edern proclamait à la cantonade que nous pouvions nous goinfrer sans remord puisque les fameux œufs d’esturgeon lui avaient été offert par un hiérarque du PC à son retour de vacances dans une datcha des bords de la Mer Noire. Avec son intonation si caractéristique et son rire nasillard le grand escogriffe vilipendait les petits maquignons du Bureau Politique qui allaient faire bronzer le gros cul de leur bobonne aux frais des cacochymes du Kremlin et qui en profitait pour se faire sucer le membre pendant la sieste par des jeunes beautés slaves. « Des porcs ! » La cour riait. La cour l’entourait. La cour se bâfrait. Moi je commençais à m’ennuyer. Tout ce champagne me donnais envie de pisser. Un larbin m’indiquait que c’était au premier. Je me paumais. Poussais des portes. M’esclaffait soudain : à quatre pattes sur un tapis de la Savonnerie une quadragénaire, cul à l’air, se faisait tringler par un gros type futal sur les chaussettes. La représentante du « deuxième sexe » approchait de l’extase et le proclamait d’une voix haletante. Le gros boutait ce qui donnait à ses fesses poilues des ressauts ignobles. « T’inquiète pas ma grosse vache quand ça va gicler t’en auras pour ton taf ! J’chui même capable d’en garder un litre pour t’en mettre aussi plein la rondelle… » La voix de l’ignoble Gustave, et surtout son putain d’accent, ne me laissait aucun doute sur l’identité de l’usineur de celle qui se révéla être par la suite une ardente militante du droit des femmes à disposer de leur corps.

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