En notre monde du vin à la française, vu par ses chantres et ses bardes accrédités, hors les châteaux ou les domaines prestigieux, le vigneron qui fait son vin sur quelques arpents de terre pentue, souffre autant que sa vigne, est, telle une image d’Epinal rassurante, le seul modèle économique en capacité de garantir l’authenticité et l’expression de nos terroirs. Mon raccourci, je le concède, est réducteur, mais il traduit la vision partagée par les politiques et les défenseurs d’une viticulture idéalisée, en rupture avec le modèle dit « productiviste » qui prévaut de manière dominante dans le reste du secteur agricole. Entendez-moi bien, cette part de notre viticulture existe et se porte assez bien mais, ce que je veux souligner dans cette chronique c’est qu’elle n’est pas représentative de toute notre viticulture et qu’elle ne reflète pas ses évolutions profondes.
Plutôt que les images pieuses, dont je n’ai jamais été très friand, je préfère les données chiffrées sonnantes et trébuchantes car souvent elles sont déplaisantes et dérangeantes. L’étude réalisée à la demande de la Confédération des Vignerons Indépendants avec le soutien financier de Viniflhor par le CREDOC pour dégager, sur la base d’un état des lieux, les stratégies des vignerons indépendants à l’horizon 2015, même si elle cède au péché mignon des chercheurs français de vouloir à tout prix classifier, glisser les entreprises dans une typologie pas toujours signifiante, a le mérite de mettre en lumière deux phénomènes concomitants qui touchent notre viticulture. Ce matin je vais, sur la base des conclusions de l’étude, vous donner la traduction concrète du premier : la montée en puissance des très grandes exploitations. Dans une autre chronique j’aborderai le second phénomène – dont je ne déflore pas aujourd’hui le thème pour maintenir l’attente – qui est d’une ampleur certes encore modeste mais qui à mon sens ne peut que s’amplifier.
Je cite le CREDOC : « Ils appartiennent à un modèle tout à fait distinct de celui des autres exploitations. Ce sont de véritables « agro managers » parfaitement formés aux techniques de gestion puisque 99% d’entre eux possèdent une comptabilité de gestion (contre 69 pour le VI moyen) qui utilisent bien plus un ordinateur pour les besoins de leur exploitation (79% contre 38%). Avec près de 10 salariés en moyenne, ces vignerons sont des chefs d’entreprise qui ont investi dans la vigne avec des compétences managériales certaines. Ils suivent un plan de développement incluant l’augmentation de leurs parcelles dans un objectif de gains de productivité et d’économies d’échelle. Les PME les plu solides ont un modèle de production type « nouveau monde » qui leur permet de développer des produits marquetés et compétitifs à l’international. Le taux moyen d’export direct d’une entreprise-type appartenant à cette classe est de 11,6% (contre 7% pour le VI moyen).
SAU moyenne = 84,4 ha (presque 7 fois supérieur à celle du VI moyen 12,3 ha)
CA moyen à l’hl estimé = 194 euros contre 266 euros CA moyen du VI moyen
« En dépit de certaines faiblesses structurelles, comme leur lien étroit avec le négoce (56% des volumes commercialisés le sont par des grossistes, dont 39% en vrac) qui limitent leur marge commerciale, ils ont les moyens de bien réagir à la situation actuelle. Déjà peu nombreux, leur nombre devrait diminuer de 9% entre 2000 et 2015 pour passer de 950 à 860 vignerons.
Dans le même temps, les exploitations devraient voir leur taille progresser du fait des rachats d’exploitations : SAU moyenne devrait passer à 91 ha en 2015. »
À noter que ces très grandes exploitations se situent principalement dans le Grand Sud : Languedoc Roussillon, PACA, Midi-Pyrénées et Aquitaine et que cette classe qui ne représente que 2,5% du nombre pèse 16% des volumes vinifiés. "
à suivre...