Chères amies vigneronnes, chers amis vignerons du Languedoc,
Depuis le jour où, encore jeune homme plein d’ambitions et d’illusions, je passais les portes de l’Office des Vins de Table, au 232 rue de Rivoli, moi le petit vendéen, né dans le bocage à vaches, un ventre à choux, je me suis pris de passion pour votre pays de passion, de verbe haut, pétri d’histoire de révoltes vigneronnes, marqué par une monoculture dédiée à la boisson nationale : le vin de tous les jours, vignerons et vigneronnes du Sud vous êtes une part importante de ma vie.
Votre grand vignoble du Languedocien, confronté au double mouvement d’une consommation en chute libre et d’un choc concurrentiel brutal et redoutable avec le vignoble italien, s’appauvrissait. À Paris on redoutait vos accès de colère, Bruxelles comme toujours servait de bouc émissaire, tous les ingrédients semblaient assemblés pour gérer ce dossier comme le fut par la suite le dossier charbonnier. Qui aujourd’hui se souvient que Charbonnages de France n’existe plus ? Les évènements dramatiques de Montredon, morts inutiles en plein milieu d’un siècle où les nouvelles générations n’avaient connues que la paix, sonnaient la fin des combats héroïques, le vignoble semblait condamné au déclin pour sa plus grande part et à un renouveau pour ceux, pionniers, qui misaient sur les AOC.
Mais l’Histoire s’écrit avec ceux qui ont le courage de s’élever contre les idées reçues ; ceux qui se confrontent avec les irréductibles de leur propre camp ; ceux pour qui « gouverner c’est choisir » et qui savent mieux que quiconque que choisir est douloureux et, qu’avant de leurs tresser des lauriers, les démagogues les couvriront d’opprobre ; ceux qui loin de céder au découragement ouvrent les voies d’avenir. J’ai l’outrecuidance d’écrire que les accords de Dublin, négociés pour l’entrée de l’Espagne et du Portugal, par Michel Rocard et scellés par les accords de Dublin, ont permis le rebond de votre belle région. Certes il y eut une grave saignée de votre vignoble mais elle n’était que la résultante d’un aveuglement face aux évolutions du marché, le temps du rouge national tirait à sa fin. Sans ce choix courageux, n’en déplaise à ses pères, les vins de pays d’OC n’auraient jamais existés car l’accoucheur accomplit le geste premier, originel. Reste bien sûr à élever l’enfant en âge et en sagesse.
Je m’en tiendrai là dans ce rappel de souvenirs car je sais que j’insupporte certains d’entre vous avec mon côté j’étais au bon endroit au bon moment. Mais que voulez-vous j’ai tellement reçu de coups bas, j’ai depuis sept ans du affronter tellement de mensonges, du subir un tel flot de désinformation, que si je ne m’envoie pas quelques fleurs qui le fera ? Les temps, après une brève embellie, sont de nouveau difficiles. L’éditorialiste de Vitisphère écrit : « Après 7 années brinquebalantes la brutale dégradation économique (hausse des charges d’exploitations, baisse des cours, ralentissement des exportations…) a réinstallé la colère, la révolte dans la tête de beaucoup de vignerons. La violence est redescendue dans les rues. Quand la crise est là, il y a ceux qui pensent qu’il n’y a rien à faire, sauf la révolte, ou la renonciation. Il faut comprendre leur découragement, leur rancœur. Ils ont été si souvent déçus, dominés, trompés, aveuglés… »
À l’heure où je vous écris, chers amis vignerons du Languedoc, je ne peux rien faire d’autre que vous apporter tout ce que je recèle de compréhension et de compassion. Tout au début des 7 ans évoqués par Vitisphère, j’ai tenté, avec honnêteté et un certain courage, d’analyser votre situation, face à la concurrence des vins du Nouveau Monde et l’évolution de la consommation mondiale du vin. Avec mes compères du groupe stratégique nous avons proposé une feuille de route simple, compréhensible, de ce que nous pensions être les voies et moyens pour relever les défis du vin français : Cap 2010. Nous nous sommes engagés, nous avons ferraillés, nous avons tentés de convaincre, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour des choix cruciaux pour votre avenir soient faits. Est-ce que vous nous avez entendus chers amis vignerons du Languedoc ?
Toujours dans Vitisphère je lis les propos du principal opérateur sur votre marché : « Depuis une trentaine d’année, la viticulture française a été massivement réorientée vers les vins de terroir, qui contribuent à la notoriété de notre production. Mais ces vins ne représentent qu’une faible part du marché. Le cœur du marché, ce sont les vins vendus entre 2 et 5 € (prix consommateur). Dans ce segment les vins de marque sont ceux qui ont la plus forte progression. C’est un segment sur lequel la France n’est pas assez compétitive car jusqu’à aujourd’hui, le vignoble n’a pas été orienté vers cette production de type industriel. Mais la réforme de l’OCM est une chance pour nous adapter et devenir compétitifs sur ce segment, sans pour autant renoncer aux vins de terroirs qui continueront à être le fer de lance de la viticulture française. Avec les vins sans indication géographique, l’Europe nous offre l’espace de liberté qui nous faisait défaut pour être compétitifs sur ce segment. Qui plus est des moyens considérables sont débloqués pour la restructuration du vignoble : plus de 450 M€ sur les 5 prochaines années. A nous d’utiliser au mieux cette manne pour construire un vignoble qui réponde à ces marchés.
Face à cette affirmation Vitisphère rétorque : tous les secteurs ne sont pas aptes à produire des vins industriels ? La réponse fuse : « Bien sûr que non et heureusement. Le marché est segmenté, il faut donc segmenter la production de raisins. Au niveau de chaque exploitation ou de chaque coopérative, il faut passer en revue toutes les parcelles et définir une affectation pour chacune : les parcelles de coteaux sans irrigation possible resteront vouées aux vins de terroir avec des déclinaisons possibles en bio pour une meilleure valorisation. Mais dans les secteurs de plaine où l’irrigation est possible, il faut développer des vignobles productifs avec des coûts de production les plus bas possible pour être compétitifs sur le marché mondial. »
Et de rebondir sur une nouvelle interrogation : cette course au rendement ne va-t-elle pas conduire à une nouvelle baisse des cours ? « Si bien sûr, mais c’est grâce à cela que nous redeviendrons compétitifs par rapport au Chili et à l’Afrique du Sud. Mais qu’importe la baisse des prix si grâce à l’augmentation des rendements, le producteur touche un meilleur revenu à l’hectare. Aujourd’hui, les vins de cépages rouges chiliens sont à 64€ l’hl franco. Si nous arrivons à ce prix là en France, nous reprendrons des parts de marché. Et pour le producteur, à 100 hl/ha, cela fait un revenu de 4000 € à l’hectare en tenant compte des frais de vinification et de transport. Pour peu qu’on travaille sur la réduction des coûts de production avec la taille minimale par exemple, cela devient une activité très rentable. C’est un marché qui peut générer des marges pour tout le monde. Il n’y a aucune raison de laisser ce marché à nos concurrents, surtout pour le marché européen qui devrait être notre chasse gardée. »
Tout est dit même si je continue de penser qu’au cours des 7 années qui viennent de s’écouler la production, vous les vignerons individuels ou coopérateurs du Languedoc, fournisseurs de vin en vrac, vous auriez du vous regrouper pour créer les conditions économiques de la compétitivité, vous organiser pour mettre les acheteurs du négoce – qui restent et resteront des opérateurs qui rechercheront toujours les conditions de prix les plus avantageuses – face à des partenaires jouant une même partition. Diviser pour régner, en dépit des discours consensuels, reste la stratégie de beaucoup d’opérateurs. Dans un espace de liberté il faut des règles du jeu voulues et acceptées pour créer de la valeur. Ceux qui montent aujourd’hui sur les estrades pour pointer le doigt sur les responsabilités doivent aussi se souvenir des leurs lorsqu’ils se trompaient de cible.
Á l’heure où la consommation mondiale du vin progresse, régénérer le « vignoble de masse » de votre belle région est un atout majeur pour la France du vin. Encore faut-il assumer les choix qu’il exige et cesser d’agiter l’épouvantail du vin industriel. Vos vins de terroir, qui souffrent de la concurrence du grand voisin de Gironde, se porteraient beaucoup mieux si l’on tarissait la source de vins qui ne sont ni des vins de vignerons, ni des vins « modernes », mais des vins de rien bénéficiant de la notoriété de leur seul nom. La concurrence entre nos grandes régions viticoles reste un problème majeur et ce serait une idiotie, au nom de l’autonomie des régions dont je suis le premier défenseur, de laisser accroire que le principe des vases communicants va cesser dans le nouveau contexte créé par la nouvelle donne de l’Europe. En écrivant cela je ne prône en rien l’affrontement entre régions mais la seule nécessité de ne pas vous faire prendre des vessies pour des lanternes. Il ne s’agit pas de gérer la France du vin de façon centralisée à Paris mais de ne pas reproduire les erreurs qui nous ont conduits aux 7 années que vous venez de vivre.
J’ai été long, trop long, mais je ne pouvais, même si je n’ai que des mots à vous offrir, rester insensible à votre désarroi. Tout reste possible à la condition d’affronter des choix difficiles mais porteur d’une réelle et durable prospérité. Lorsqu’on m’a envoyé au chevet du Cognac en 1999, tout allait mal, les pessimistes prônaient l’arrachage, les sceptiques la reconversion. Ce sont ceux qui ont acceptés de recevoir des coups pour organiser la région qui ont eu raison : s’adapter au marché paie. Au travers de mon blog, de mes contacts dans votre belle région, je sais que des hommes et des femmes attendent que les paroles d’union se traduisent par des actes concrets. Que l’énergie soit toute entière tournée vers les chantiers de l’avenir. Moi je reste toujours disponible pour bâtir, mettre la main à la pâte, être des vôtres.
Mon père disait que c’était dans les moments difficiles qu’on comptait ses vrais amis. Chers vignerons et vigneronnes du Languedoc, j’en suis. En espérant avec vous des jours meilleurs, je vous adresse mon salut amical et mon meilleur souvenir.
Jacques Berthomeau