Entre autre connerie, il les enfilait comme les saucisses et les petites filles en fleurs, le Grand Timonier variqueux, dans son petit livre rouge, avait déclaré pour stimuler les larges masses : « Mourir, c’est toujours grave ; mais mourir pour le peuple, c’est léger comme une plume… » L'état-major de la GP, au nom du son nécessaire sacrifice pour le peuple, avait besoin de martyrs et ce fut le malheureux Gilles Tautin, noyé accidentellement le 10 juin dans la Seine, alors qu’il tentait d’échapper aux gendarmes mobiles, qui avait eu l'insigne honneur de voir son nom gravé dans le marbre du mausolée de la Révolution prolétarienne, nouveau Panthéon des sacrifiés de la longue marche des partisans de la prise du pouvoir par les damnés de la terre. Vous apprécierez, je l'espère, le poids de ma phrase, lourde, ancrée dans le plomb, parfaite image de la littérature ordinaire des fêlés que je devais infiltrer. Même si la soldatesque de Marcellin, avec son nouvel équipement : visières antigaz, bouclier en plastique, plus mobile, mieux aguerrie à la guérilla, n’avait pas à proprement parlé poussée Tautin à la baille, on l’accusait de l’avoir sciemment laissé mourir en ne lui portant pas assistance. Ce qui était faux puisque d’autres baigneurs involontaires avaient été tirés de l’eau par les gendarmes. Le cadavre embaumé de Tautin, modeste tireur de portraits pour La Cause du Peuple couvrant la bataille de Flins, va être instrumentalisé par les « maos » dans un exercice dont les français raffolent : la commémoration de la date anniversaire de son "assassinat". Un an après, commémorer « l’assassinat » du martyr permettrait, selon l'état-major de la GP, de raviver la violence insurrectionnelle pour qu’elle explosât à la gueule des chiens de garde du capitalisme.
Pour Pierre Victor, le Raïs de la GP, le faux clandestin reclus au fond de Normale Sup, petit brun affublé grosses lunettes d’intello qui donnaient, à son regard « gris et froid comme celui d’un héros de James Hadley Chase » (1), la dureté consubstantielle à sa position de chef suprême, la « guerre civile » ne pourra être menée par la classe ouvrière sans que des flots de sang soient versés. Le gourou fascine son entourage, sa douzaine de zélotes, par son verbe brillant, son goût de la synthèse et l’art qu’il a de déceler chez ses interlocuteurs la faille dans laquelle il s’engouffre sans pitié - l'autocritique étant à la GP la seule thérapie autorisée. Tout passait par lui, il auditionnait ses lieutenants et parfois même de simples hommes de troupes , dépiautait leurs dires, tranchait, approuvait ou désapprouvait, sans appel possible, lançait des ordres du jour délirants. Ses batailles de référence, Flins et Sochaux, ses Austerlitz à lui, loin des bastions tenus par ceux qu’il nomme avec mépris les chiens de garde du PCGT, dans le terreau vierge des prolétaires, fondait sa stratégie militaire. Ceux qui n’ont pas connu cette période de diarrhée verbale putride et délirante ne peuvent comprendre l’ambiance qui régnait dans les hautes sphères de la GP. Pour convaincre les sceptiques je leur propose ce que Benny Levy, alias Pierre Victor, confiait à Michel Foucault en 1972.
« Soit le patron d’une boîte moyenne, on peut établir la vérité des faits, a savoir qu’il a exploité les ouvriers abominablement, qu’il est responsable de pas mal d’accidents du travail, va-t-on l’exécuter ?
Supposons qu’on veuille rallier pour les besoins de la révolution cette bourgeoisie moyenne, qu’on dise qu’il ne faut exécuter que la toute petite poignée d’archi-criminels, en établissant pour cela des critères objectifs.
Cela peut constituer une politique tout à fait juste, comme par exemple pendant la révolution chinoise…
Je ne sais pas si cela se passera comme cela ici, je vais te donner un exemple fictif : il est vraisemblable qu’on ne liquidera pas tous les patrons, surtout dans un pays comme la France où il ya beaucoup de petites et moyennes entreprises, cela fait trop de monde. »
Sympa le petit juif pro-palestinien, enfin un politique qui se préoccupait du sort des PME, qui dans les années 80 jettera sa défroque marxiste par-dessus bord pour renouer avec le judaïsme de son enfance, un judaïsme ultra-orthodoxe, deviendra rabbin et affirmera toujours aussi implacable « Le peuple palestinien n’existe pas. Il n’a pas le droit d’exister… »
(1) Claude Mauriac dans son journal Le Temps immobile vol 3 l'attribue à Gilles Deleuze...