Dans les guides et les gazettes, ces dernières années, les vins sont de plus en plus souvent éclipsés par ceux qui les font, ou parfois par ceux qui disent qu’ils les font. Beaucoup de solistes donc, des têtes d’affiches, des noms qui font vendre, tous les ingrédients d’une forme bien modérée du culte de la personnalité. Moi-même j’y cède alors je ne vais pas égratigner mes confrères dont c’est le métier. Reste une question bien plus épineuse : celle du talent. Tous des virtuoses, rien que des Glenn Gould ou des Arturo Benedetti Michelangeli, pas si sûr mais tel n’est pas mon propos du jour. En effet, je vais descendre dans la fosse, pas aux lions mais celle de l’orchestre, là où le petit monde des interprètes, dans une certaine forme d’anonymat, fait, si je puis m’exprimer ainsi « bouillir la marmite »
Afin d’éviter de faire genre « j’étale ma culture comme de la confiture » l’image du peloton cycliste, avec ses porteurs d’eau, ceux qui font nombre, donnent au spectacle sa consistance peut aussi servir à éclairer mes nébuleuses réflexions. Si vous voulez bien me suivre je me lance :
1° Même si c’est une évidence je me permets de l’énoncer : pour faire du vin il faut d’abord cultiver du raisin, donc des hommes travaillant un vignoble en un lieu dit.
2° De ce premier constat, au début du XXe siècle, est né le système de l’Origine : AOS, AOC devenu via l’UE : AOP-IGP ; à partir de là il n’est pas possible de cultiver du raisin de cuves n’importe où, n’importe comment, même qu’il existe une délimitation parcellaire expertisée par des hommes de l’art.
3° Pour défendre cette origine les hommes se sont regroupés en Syndicat de Défense de l’Appellation pour laquelle l’adhésion n’était pas obligatoire mais depuis l’irruption des ODG tout le monde cotise.
4° De tout ce qui précède, pour reprendre mon image musicale, tous ceux qui cultivent la vigne dans le périmètre délimité ont entre les mains la même partition : ce que l’on appelle du vilain nom de cahiers des charges. Ça laisse la place à l’improvisation qui parfois peut aller jusqu’au n’importe quoi mais je ne m’aventurerai pas sur ce sentier glissant.
5° Bref, quand le raisin est mûr, et si possible sain, il faut le vendanger et à partir de cette cueillette deux voies sontouvertes : soit je fais mon vin, soit je le fais faire par un autre.
6° Je laisse de côté les solistes, sauf ceux qui font leur vin pour le vendre en vrac à ceux qui le vendront en bouteille.
7° Pour ceux qui s’adressent à un faiseur de vin je laisse de côté ceux qui vendent leurs raisins à quelqu’un qui en fera du vin pour le vendre en vrac ou en bouteilles pour ne m’intéresser qu’aux coopérateurs.
8° Nous y voilà : la coopé ! L’abomination de la désolation pour les gazetiers de toute obédience. Pensez-donc tous ces raisins mélangés, traités, sous-entendu maltraités, dans des cuves aussi hautes que celles des raffineries de Dunkerque, torturés, assemblés, bidouillés... j’en passe et des meilleures. Triquards, interdits de séjour, marqués au fer rouge, honteux, les vins de coopés devaient, la plupart du temps, se contenter de l’image du tout venant dans l’indifférence hautaine de la critique.
9° Sauf que l’autre jour, dans la très conservatrice RVF, que vois-je, n’en croyant pas mes yeux, accroupi dans ses vignes Jean-Louis Piton le président de Marrenon coopérative dans le Luberon. Oui, mes biens chers frères, mes biens chères sœurs, un président de coopé cultive des vignes je puis en témoigner. Voilà bien une révolution que cette présence d’un éminent représentant de la coopération dans les pages glacées du saint des Saints du Vin.
10° L’homme, cosignataire en 2001d’un brûlot genre « voilà ce qu’il faut faire pour ne pas prendre des claques en 2010», souffre pourtant d’un grave handicap : il est le Président d’une Union de coopératives. Déjà se taper le conseil d’administration d’une coopé ce n’est pas de la tarte mais assembler autour d’une table une poignée de présidents de coopé relève chez lui d’un goût immodéré pour la difficulté.
11° Revenons à Marrenon, sis à La Tour d’Aigues, son fondateur Amédée Giniès l’a créé pour hausser le vignoble du Luberon en AOC mais, comme le souligne JL Piton, « en plaçant la barre au-dessous des Côtes du Rhône, alors que ce vignoble recèle un potentiel qui peut l’amener dans la même cour que celle des Cairanne, Rasteau, Vacqueyras... » www.marrenon.com
12° Quel beau défi pour ces Côtes du Luberon, ce « chaînon manquant » entre la Provence toute rose et la vallée du Rhône toute rouge. Comme vous vous en doutez ce langage ça me plaît donc je suis allé cuisiner dans leur coin reculé JL Piton et son directeur Philippe Tolleret (ex Bob Skalli). Dieu qu’il faisait chaud !
13° Alors, en sirotant du Pétula rosé de la maison Marrenon, j’ai entendu des mots qui enchantaient mes oreilles : le vin d’abord, la ressource, la qualité recherchée, le produit comme il faut là où il faut... Tiens, tiens, le pilote dans l’avion Marrenon tient le cap fixé par le plan de vol, ou si vous préférez sous la baguette du chef d’orchestre les interprètes n’en plus qu’à leur tête.
14° Tout ça vous paraît évident, dans l’ordre des choses mais, y compris chez certains solistes, ça n’allait pas de soi et ça continue de ne pas aller de soi. Faire du vin sur la base d’un engagement « syndical » a toujours provoqué chez moi un grand étonnement.
15° Alors, et c’est là mon propos du jour : je pense que face à la nouvelle donne du marché, sur tous les segments, dans toutes les formes de distribution, y compris le traditionnel, sur le marché domestique comme sur les marchés de pays émergeants, la carte « coopération » versus orchestre avec des « exécutants » - c’est le terme consacré - qui suivent la partition sous la baguette du chef peut se révéler un plus pour des vignerons, une chance pour des territoires de faire entendre leur différence, loin de l’image du gros chaudron.
16° En effet, et je n’en fait pas un modèle mais l’une des voies que nous pouvons emprunter, des hommes sur un territoire créateur de valeur n’est-ce pas le préalable à une économie « équitable » où le prix du produit fini permet de rémunérer justement le producteur de raisin pour qu’il puisse vivre, et non survivre, investir dans son vignoble et ses méthodes culturales. « Passer le cap des 7 euros le litre permet de franchir la barre d’un réel retour de valeur dans le vignoble ». A l’heure où ces messieurs de la GD se bagarrent à coup de comparaisons bidouillées sur le Bio moins cher (le comparateur Leclerc www.lebiomoinscher.com et la campagne de pub bio le moins cher de Leader Price) il serait temps que les consommateurs sachent que « pour quelques centimes de plus » des producteurs pourront continuer de vivre dans ces pays que l’on trouve si beau lorsqu’on va en vacances avec les enfants.
17° Donc, très chers lecteurs, regardez aussi du côté des orchestres, petits ou grands, même des orphéons, observez l’évolution de leur répertoire, les efforts de leurs membres pour hausser leur niveau, la qualité du chef et, suprême contre-pied, admettre qu’un jour avec eux vous aurez pris votre pied. Du côté de Marrenon, ils avancent, ils avancent, avec leurs petits moyens financiers mais avec la volonté de laisser les ego aux vestiaires pour venir chatouiller les mieux établis.
18° Ce qu’ils font c’est déjà du bon et j’y vois l’un des signes de ce qui pourrait être la base d’un renouveau fondé sur des vins qui ont les pieds quelque part sans pour autant se complaire dans des styles compassés...
19° Et puis rien que pour embêter Michel et si la quintessence d’un grand Grenache voyait le jour en Luberon du côté de Marrenon ça couperait la chique à plus d’un ne croyez-vous pas ? Moi vous savez après avoir fait Lourmarin-La Tour d’Aigues-Lourmarin sur le siège du passager d’une moto avec un casque intégral sur la tête je suis prêt à affronter toutes les batailles d’Hernani...
20° Si vous n’avez pas bien saisi où je voulais en venir prière de consulter le service après vente de Vin&Cie qui se fera un plaisir de vous dépanner...