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6 mai 2008 2 06 /05 /mai /2008 00:04

Du pur jus vendéen, à lire avec attention pour comprendre l'idéologie de la terre qui elle ne ment pas, des principes fondateurs de la Corporation paysanne et de l'opposition entretenue entre la France rurale berceau des valeurs du pays et la France urbaine creuset de toutes les dérives et de tous les débordements...

 

Pareille à toutes les autres, c'est un petit royaume que la ferme du Breuil *. Une fois l'an, le maître, qui habite Nantes, vient la visiter, et on l'y reçoit comme un prince.
  Il a annoncé son arrivée pour ce jour même.
  Le fermier Pierre est allé le chercher à la gare, avec sa jument poulinière, lourde ventrue, dont les flancs débordent les brancards, un peu poussive, mais à laquelle on fait les crins pour la circonstance. Pendant ce temps ses fils étrilllent les bêtes, refont les litières, raclent la boue autour des toits *. La fermière, dans la belle chambre, a déplié trois nappes et choisi la plus fine. Elle ne dresse que deux couverts : celui du maître et celui du fermier. Les autres mangeront à la cuisine.

  Le roi et son ministre sont à table. Au rois seul on a donné une serviette. Le fermier s'excuse à propos de chaque plat que les ménagères apportent. " On voudrait faire mieux... mais on ne sait pas... Ce n'est pas la bonne volonté qui manque..." Il invite, à petits coups d'arguments nets, incisifs, le maître à se servir "convenablement", à boire davantage. Il veille que son verre soit toujours rempli jusqu'au bord. Il a l'oeil attentif d'un échanson au dossier d'une chaise haute. Le maître, qui connaît les usages, n'a pas voulu être en reste avec son fermier. Il se lève, ouvre son sac qu'il a déposé sur le lit des filles, et en retire deux bouteilles aux cachets piqués.
  - Pierre, c'est celui que tu préfères, quand tu viens me voir.
  L'homme se récrie : c'est trop de bonté.

  Avant de le prendre, sa main dessine autour du verre rempli des gestes flatteurs. Puis il le saisit comme une petite chose fragile et précieuse que l'on caresse, et boit avec recueillement. Quand il a bu, son admiration se traduit par une mimique expressive, des mots d'une telle saveur paysanne qu'on déboucherait une bouteille rien que pour le plaisir de les entendre.

  Qu'on ne s'y trompe pas, d'ailleurs, ni l'un ni l'autre n'a perdu de vue son intérêt. Mais nous sommes dans un royaume et tout débat est précédé de gestes de courtoisie, de vieilles formules de politesse. On a bien, entre deux bouchées, fait quelques allusions qui trahissent les pensées secrètes, mais sans appuyer, discrètement, - simple touche pour prendre le ton.

  Mais voilà que le repas s'achève. Le maître a allumé une cigarette. C'est l'heure du placet. Le fermier s'est tassé sur sa chaise, le dos rond, les coudes sur la table. Ses appuis sont fermes. On sent qu'il peut tenir là, une soirée durant, à soutenir son point de vue. Il a plusieurs demandes à formuler. Il voudrait, d'abord, qu'on remplaçât les deux petits portails de l'étable et le râtelier des génisses. Il voudrait aussi qu'on lui permît d'arracher un buisson inutile, là-bas, à mi-côteau, pour faciliter la culture dans les deux champs limitrophes. Un nouveau puits rendrait de grands services - l'ancien est presque inutilisable. Il sait bien qu'il ne l'obtiendra pas - le prix du fermage ne suffirait pas à toutes les dépenses - mais peut-être en amorcera-t-il l'idée pour l'année prochaine, et le refus du maître sur ce point le rendra plus conciliant sur le reste.

 Cela commence de loin, comme la plaidoirie de l'Intimé, mais sans drôlerie, sans excès. La harangue coule de phrase en phrase avec un naturel, une bonhommie où la ruse a caché tous ses ongles. Il parle de l'ancien maître et de son père à lui, qui n'ont "jamais eu ça ensemble" ; des bonnes et des mauvaises récoltes ; du bois qui n'est pas cher cette année ;  des ouvriers du pays, avantageux à l'ouvrage. Il va d'un sujet à l'autre sans jamais perdre le fil qui le dirige, abandonne celui-ci pour revenir à celui-là, et tour à tour conte avec aisance ou simule de l'embarras, pour aboutir enfin à la demande de ses portails et de son râtelier.
  - Allons les voir.
  Le maître s'est levé sans rien promettre. On entre dans l'étable murmurante du doux bruit des mâchoires. On s'arrête devant chaque animal. Un coup de pied sur la fesse et la bête se lève, s'étire, remontant son dos en bosse de dromadaire.
  - Attention, le maître ! ils sont peu polis à leur réveillée.
  La bouse tombe et éclabousse (...)

Jean Yole - Le Malaise Paysan La Nef 1929 réédité en 1943

* " nous sommes en Vendée, sur le versant sud-ouest de la Gâtine, pays aux ondulations molles, au charme humble et discret, mais auquel son histoire donne de l'accent."

* des toits au sens de toit à cochon ou tout autre animal...

* cachets de cire 

Jean Yole
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Léopold Robert, dit Jean Yole, écrivain et homme politique français.

Né à Soullans (Vendée) le 7 septembre 1878, mort à Vendrennes (Vendée) le 2 novembre 1956.

Médecin, se revendiquant comme catholique et traditionnaliste, il a été maire de Vendrennes de 1933 à 1945 et sénateur (conservateur) de la Vendée en 1936.

Il vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Nommé membre du Conseil National institué en 1941 par le Maréchal Pétain pour remplacer le Parlement et pour le conseiller, et membre du Conseil départemental remplaçant le Conseil général, il adhère pleinement à l'idéologie de la Révolution nationale. Il est déclaré inéligible par un jury d'honneur après la Libération.

Écrivain de la terre et chantre de l'éternel paysan, il a surtout traité dans ses romans, ses pièces de théâtre et ses essais, de la Vendée et des problèmes sociaux d'un monde rural affecté par des mutations venant bouleverser l'ordre ancien de la société traditionnelle. Originaire du marais breton, il a utilisé comme nom de plume un emblème de ce pays, la yole, qui est une petite embarcation.

Léopold Robert Jean-Yole fut élu membre de l'Académie d'agriculture en 1948



 

 

Devinez lequel des deux est Jean Yole ?

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