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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 00:06


L’écriture épure. Mes bouffissures, tout ce mou engrangé au temps de ma déglingue, stocké dans tous mes pourtours en petites poches de gras, ma nouvelle ascèse les avait siphonnées. À nouveau je sentais mon corps, dur et ferme. Levé à cinq heures, éveillé et avide, je me jetais dans l’écriture sans douleur. Raphaël me préparait du café. À l’à pic de la grande baie vitrée les eaux noires de la Seine, lustrées par la chape d’éternelle lumière de la ville capitale, traçaient une invisible frontière qui me rassurait. Aux premières lueurs de l’aurore, Jasmine, pointait son arrogante nudité à mon côté. Du bout de ses doigts glacés elle effleurait ma nuque puis, en un va et vient onctueux, elle me massait le bas du cou, là où le poids de ma tête formait un nœud serré. C’était comme si elle me pénétrait sans effraction. Les ondes de ses mandibules expertes et la proximité de son corps parfumé m’instillaient des pensées érotiques que je laissais s’épandre en mousse sur le sable sec de mon étrange chasteté. Je ne baisais plus, mais chaque matin, à neuf heures, à la salle de sport du Cour St Emilion, je ramais, je suais, soulevais de la fonte et tirais des brasses dans la petite piscine du sous-sol. C’était ma seule sortie, mon seul voyage. Jasmine, mère-poule, à mon retour me gavait de jus de fruits frais, veillant, disait-elle en riant, à l’équilibre de mon alimentation. Elle qui vivait, calée sur son horloge biologique arythmique, des vies multiples, s’en inventait une nouvelle en écumant les marchés bio de la capitale pour me nourrir sainement. Raphaël, lui, pourvoyait à tout le reste. Toute leur vie tournait autour de moi et nous aimions ça.

 

Vers la fin d’un après-midi de septembre, le chapitre 4 venait de tomber au champ d’honneur, dixit Raphaël, et Jasmine décidait que le temps de la débauche était revenu. Nous fîmes un peu la sieste. Nous fîmes beaucoup l’amour. Et puis, sur le coup des 7 heures, sapés comme des princes, nous partîmes en taxi rejoindre la terrasse du café de l’Homme au Trocadéro. Le soleil tiède de la fin du jour m’enveloppait d’une tendre béatitude que le Krug 1997, commandé par l’intraitable Jasmine, irisait de fulgurantes images. Depuis un nombre de jours et de nuits, que je n’avais pas comptabilisé, je vivais reclus avec et dans mes souvenirs, choyé, dorloté, coupé du monde, tel la Reine de la ruche et là, d’un seul coup, je recollais à la réalité : le corps de Jasmine, le champagne, les conversations alentour, le mouvement des clients, des garçons qui d’ailleurs étaient des filles, les odeurs, la facilité me guettait. On ne fumait plus dans les cafés et c’était comme si le dernier pan de ma jeunesse enfumée, celles des AG, des réunions interminables, des bords de bar, tombait dans la froideur de l’époque. Sans doute ne voulait-on plus mourir, tout semblait imprégné du blanc laiteux des murs des hôpitaux. Raphaël faisait les frais de la conversation et moi je me contentais de bouts de phrases inachevées pour tenter de la faire rebondir ce qui mettait Jasmine en joie. « Notre ermite a besoin de notre sève Raphaël, nous allons le perfuser jusqu’au bout de la nuit… » raillait-elle en me tendant sa flute pour que je la lui remplisse.

 

Au cœur de la nuit, au bar Hemingway du Ritz, je sortais de ma poche intérieure un porte-cartes au cuir blond patiné – un cadeau de Marie pour le seul anniversaire que nous ayons fêté ensemble – qui contenait tous mes trésors. Précautionneusement j’en tirais une coupure de journal, toute jaunie, un confetti de quelques lignes que je tendais à Jasmine. Nous étions ivres mais d’une ivresse légère et, pour moi, le temps était venu de plonger. Je ne pouvais plus reculer. « Lis-le nous mon Raphaël… » la voix de Jasmine n’était qu’un chuchotis. Sans nous concerter nous nous penchions en avant jusqu’à former un faisceau humain au-dessus de la table basse. Nos souffles alcoolisés se mêlaient. D’une voix mal assurée Raphaël se lançait « Condamnée le 10 juillet dernier à douze mois de prison avec sursis et à 500 F d’amende pour détournement de mineur, Mme Gabrielle Russier, trente-deux ans, professeur de lettres, a été trouvée morte, lundi soir, dans son appartement marseillais de la résidence Nord : elle s’était suicidée en s’intoxiquant par le gaz. L’aventure vécue pendant plusieurs mois par la jeune femme avec l’un de ses jeunes élèves trouve ainsi un épilogue tragique. »

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