Au temps de mes culottes courtes j'étais un enfant de choeur aux motivations pas très catholiques : le service des mariages et enterrements m'offrait une école buissonnière légale, la soutane et le surplis empesé me seyaient bien, le service des burettes, de la clochette, de l'encensoir, le latin débité, les processions, reluquer les filles pendant la communion, ensemençaient mon imaginaire. Faute avouée est à demi pardonnée.
Dans le calendrier liturgique, outre le lavement des pieds du jeudi saint, la procession des rogations était un must. Pendant les trois jours précédant l'Ascension, nous partions au petit matin avec le curé et nos instruments : croix, chandeliers, aspersoir et goupillon au long des chemins creux, suivis par la petite cohorte des grenouilles de bénitier. L'air vif, le chant des oiseaux, une nature en pleine rennaissance, ce transport agreste me transfusait une légèreté fine et dense. Nous allions gaillardement bénir la terre, le terroir dirait-on de nos jours, pour attirer sur lui la grâce divine afin que les travaux des champs et les récoltes apportent un peu de prospérité à notre communauté paysanne.
L'Eglise dispensatrice d'indulgences pléniaires, tenant bien en mains ses ouailles par l'entremise des femmes, a laissé place à une ONG de la commisération. Que les évêques du Languedoc-Roussillon, et même l'archevêque de Montpellier, appellent à la solidarité avec les vignerons, ne me choque pas bien au contraire, leur texte traduit l'inquiétude et le désarroi de beaucoup de vignerons. Ce qui me trouble c'est que la forme suggérée de cette solidarité est l'organisation de réunions d'information entre viticulteurs et autres membres du village. Thérapie collective : nos liens sociaux sont-ils aussi distendus pour qu'il faille attendre du haut clergé un appel à la rencontre pour compatir aux difficultés des autres ?
Solitude, repli sur soi vont de pair avec l'incapacité des élites à prendre la responsabilité de dire, d'expliquer, ici au peuple vigneron qu'une grande mutation se lève, qu'elle n'est pas forcément un risque majeur pour l'avenir si l'on s'y prépare, bien au contraire car le vin de leurs vignes au lieu de s'en tenir à notre beau pays peut finir ses jours, tel est son meilleur destin, dans un verre anglais, californien ou chinois. J'ajoute, que parfois assemblé avec ses cousins d'autres régions de France, il peut porter haut la bannière France et ainsi nos évêques pourront bénir les bateaux emplis de caisses en partance pour le Nouveau Monde des buveurs de vin...