" On demandait à un élégant Bordelais le nom des fleurs qui ornaient un parterre de son château médoquin : " Je ne sais pas, répondit-il, mais en Angleterre on les appelle bégonias"
Ce texte, placé sous la rubrique Anglomanie dans le "Dictionnaire du snobisme" de Philippe Jullian, publié en 1958 et réédité par Bartillat. L'auteur est né à Bordeaux en 1919. "La désinvolture était son élégance morale, l'impertinence sa forme de courage et le cynisme, sa pudeur" écrit de lui G de Diebach dans son avant-propos. Le 25 septembre, il quttait volontairement sa vie. Ci-dessous, je livre des extraits de la rubrique Bordeaux de ce dictionnaire très piquant.
BORDEAUX
" Bordeaux est la seule ville de province qui ait l'allure d'une capitale et dont la société présente tous les traits d'une aristocratie se suffisant à elle-même. Moins avare que Lyon grâce à l'apport étranger, plus distinguée que Marseille presque levantine, moins sérieuse que Lille mais plus réservée que Toulouse, Bordeaux l'anglaise jusqu'à la fin du XVe siècle, tout comme Londres elle a sa rue Saint-James, anglomane depuis Louis XV ne s'intéresse que fort peu à ce quis se passe à Paris (...)
" La comtesse Edmond de Pourtalès définissait le Bordelais : un monsieur bien habillé qui a eu un grand père intelligent (...)
" Le Pavé des Chartrons, avec ses admirables balcons Louis XV, est tout aussi aristocratique que la Herrengasse de Vienne, la rue des Granges à Genève, ou la rue de Varenne. Hélas ! un maire socialiste l'a débaptisé, et un maire gaulliste la encombré d'une statue de Jeanne d'Arc qui a chassé ces chers anglais (...)
" Sans être le moins du monde intellectuelle, la société des Chartrons a un goût inné de la qualité, jamais on n'y sens l'étriqué de la province (...)
" Les grandes familles gardent leurs caractéristiques pendant des générations, les Lawton sont gais, les Peyrelongue pieux, les Blanchy aimables, les Guestier fiers, les Luze fastueux. L'on doit savoir les alliances, les surnoms et les prénoms (volontiers pour les femmes accolés au prénom du mari) sur le bout des doigts, et l'on joue contamment à : who was she ? Tant pis pour la candidate aux Chartrons si l'on ne trouve pas.
Naturellement il n'est de fortunes élégantes que dans le commerce du vin, cela ne veut pas dire que tous les négociants soient élégants ; un aïl, maître de chais, jette une barre sinsitre sur les blasons des grandes fortunes (...)
" Les réputations autres commerciales n'intéressent personne : quand Camille Jullian, professeur de faculté, fut nommé au Collège de France, les amies de sa femme s'écrièrent : "Pauvre Madeleine, on a envoyé son mari dans un collège ! Cela lui apprendra à épouser un universitaire (...) "
BROWN-CANTENAC
Les Chartrons