Rassurez-vous, je ne vous fais pas ce matin un remake de « La ferme des animaux » et de « 1984 » de George Orwell mais je profite de l’actualité du Salon de l’Agriculture pour aborder avec sérieux une question sérieuse : l’alimentation des humains sur notre belle planète.
« L’alimentation du bétail représente 65% des coûts de production. Nous n’avons jamais eu à faire à un tel écart entre le prix de l’alimentation animale et celui du porc. Nous perdons plus de 30 euros par bête. » Jean-Michel Serres Président de la Fédération Nationale Porcine.
« Nous observons un nouveau visage de la faim avec des gens qui n’ont plus les moyens d’accéder au marché de la nourriture. Pour remplir sa mission dans 78 pays, le PAM a besoin, pour 2008, de trouver 500 millions de dollars. »
Josette Sheeran directrice du Programme Alimentaire Mondial (PAM)
En 1990, lorsque nous avons accepté de réformer l’OCM grandes cultures, en cassant le soutien direct par les prix, nous l’avons fait pour 2 grandes raisons :
- Redonner de l’attractivité aux céréales communautaires pour les filières transformatrices : porc-volailles qui jusqu’ici s’approvisionnaient sur le marché mondial sur la base PSC/soja ;
- Casser la fuite en avant des subventions à l’exportation (restitutions) qui, en permettant de proposer des céréales à bas prix aux marchés des PVD, ruinaient les productions vivrières locales.
Pour amortir la chute de revenu des producteurs de céréales ont été instituées des aides compensatoires liées à la surface, celles qui sont depuis leur origine pointées du doigt par l’opinion publique et par les producteurs qui n’en bénéficient pas. L’emballement de la demande mondiale qui a fait tripler les prix des céréales rend la situation actuelle ubuesque : les céréaliers gagnent sur les 2 tableaux, prix et primes, alors que leurs « clients », les cochons et les humains, voient leur pouvoir d’achat se dégrader. Comment en est-on arrivé là ?
Par le triomphe de l’esprit de système des « eurocrates » qui ne savent que psalmodier leurs antiennes éculées : courons vite derrière le modèle US et nous le rattraperons ! Ainsi, l’élévation du « découplage » au rang d’un dogme, la mise en place d’un système de gestion des aides, que même une couvée de polytechniciens a du mal à comprendre, ont placé l’Union Européenne dans une situation de non anticipation et de non réactivité. Ces gens-là, ils l’ont de nouveau démontré lors de la réforme de l’OCM vins, ne savent gérer que l’œil rivé dans le rétroviseur avec, disent-ils, le souci de faire des économies budgétaires, alors qu’ils se contentent de gaspiller autrement. La France, principale bénéficiaire des aides directes, conjuguant la vision comptable de Bercy (taux de retour positif) et le corporatisme des grandes OPA, a participé à cette ossification de la PAC. Que faut-il faire ?
Donner de la souplesse au système :
- En redonnant à la jachère sa fonction de variable d’ajustement entre les surfaces et les besoins du marché ; en ce domaine la réactivité de la Commission a été très au-dessous du seuil de crédibilité.
- En instituant une clause de « retour à meilleure fortune » pour les aides directes, hormis les zakouskis environnementaux, qui verraient leur montant tendre vers zéro lorsque le prix du marché redevient rémunérateur. Les sommes ainsi récupérées iraient prioritairement à un fonds de compensation pour l’aide alimentaire et au soutien à des modèles de production plus soucieux des intrants.
En ce qui concerne le « modèle breton » d’élevage intensif, qui a prospéré sur la base d’une alimentation bon marché, l’heure des grands choix a sonné. Lui redonner de l’oxygène par des aides directes ne règlera rien. Comme le souligne Lucien Bourgeois, économiste de l’APCA, « Les plus fragiles ont disparu depuis longtemps, ceux qui restent feront tout pour subsister, donc produirons » et, pour ce qui concerne la filière volailles, le grand du secteur « Doux » s’est délocalisé pour partie, depuis quelques années, au Brésil. L’enjeu, ici, comme ailleurs, n’est pas d’inverser brutalement la tendance des choix alimentaires de nos concitoyens : la course au moins cher d’un côté, et l’alternative « bio » cher de l’autre, mais d’amorcer avec détermination le virage pour produire une alimentation de qualité pour le plus grand nombre. Ce n’est pas simple parce que le pousseur de caddie, qui braille parce que son riz au lait La Laitière pète les plombs, qui s’inquiète des délocalisations, n’est pas en mesure de connecter les deux parties contradictoires de son cerveau. Une telle stratégie, pragmatique et citoyenne, nous permettrait aussi de sortir d’une approche purement émotionnelle face à la faim dans le monde. On ne peut vouloir une chose et son contraire avec en prime une bonne conscience inoxydable, type Arche de Zoé. Mais comme l’écrivait André Gide « Choisir n’est pas tant élire qu’éliminer » en l’occurrence ici abandonner les recettes éculées des "tout pour le marché" et des "corporatistes".