Les cinq sacs à viande embarqués, les quatre membres du commando fantôme, sans saluer, s’engouffrèrent dans le Puma qui sitôt commença de lever son gros cul sous l’impulsion de ses pales arrière. Avant qu’ils n’entament leur macabre besogne, Gendron, conscient de son rôle, avait mis ses pas dans leurs pas. Le hall d’entrée criblé d’impacts, ressemblait à un saloon de western après le passage de Jessie James, mobilier sans dessus dessous, parfum âpre de cordite, tapis souillés de sang, et cinq cadavres de types qui manifestement ne s’attendaient pas à l’accueil qui leur avait été fait. Ils n’avaient pas eu le temps de dégainer, leurs assaillants les avaient fauchés comme des fleurs. Avant de les ensacher, les commandos leur firent les poches ; deux tas : les papiers et les effets personnels dans l’un, l’artillerie dans l’autre. L’élégant, flanqué du jeune type en perfecto, cigarette américaine pointée dans un fume-cigarette d’ivoire, surveillait l’opération avec un dédain plein de morgue. Gendron se tenait en retrait. Son statut de simple gendarme ne l’empêchait pas de réfléchir : les refroidis, vu leur dégaine vestimentaire, se classaient dans les petites frappes du milieu et, leur présence dans le baisodrome d’un vieux requin du commerce des armes cadrait mal avec ce statut. Et puis, que foutaient ces flics ici ? Le beau gosse en baskets le contemplait avec un air las. Lui aussi paraissait mal venu dans cette histoire merdique. La suite des évènements allait lui donner la première clé.
Le Puma, après sa phase ascensionnelle, virait plein ouest. L’élégant, plaçait une nouvelle cigarette dans son tube d’ivoire jauni par la nicotine, puis claquait des doigts en direction du jeune flic au visage angélique « allez la chercher ! » Une poignée de minutes s’écoulaient avant qu’il ne revienne flanqué d’une superbe tige, blême, sans un pet de maquillage, juchée sur des talons vertigineux qui donnait à sa démarche un chaloupé torride que soulignait une robe moulante rouge garance émergeant d’un opulent manteau de renard argenté négligemment jeté sur ses épaules. Gendron bandait instantanément. Portait sa main à son entrecuisse. Pour la première fois de sa simple existence de gardien de l’ordre établi il se sentait proche de l’insoumission, d’une irrépressible envie de basculer dans le camp de ceux qui peuvent se payer de telles merveilles : crapules en grôles de croco ou grands de ce monde aux mains sales, tous les mêmes ! Et pourtant, en dépit de l’inflammation de ses gonades et de ses rêves de grand soir du sexe, le brave Gendron ne pouvait que constater la complexité de la réalité : manifestement, le jeune flic désabusé endossait les oripeaux du mac sans la moindre réticence. La belle s’accrochait à son bras telle une fille en fleur à son premier flirt. L’élégant se posait face à elle, quêtait sa main. Elle lui tendait la droite, libre. Scène étrange que de voir en ce lieu dévasté, souillé de sang, tout juste débarrassé des cadavres de la nuit, ce type calamistré se pencher sur cette main aux ongles carminés, l’effleurer d’un fugace baiser avant de déclarer, tout miel, « madame nous allons vous reconduire à Paris. L’ordre règne à nouveau. Je suis persuadé que vous partagerez notre façon de voir les choses : il ne s’est rien passé ici. Reposez-vous et, si vous êtes en proie à des insomnies, appelez-moi. Je me ferai un plaisir de vous répondre. Ma porte sera toujours grande ouverte pour vous… » Gendron étouffait d’une rage froide : ce saligaud se plaçait sans vergogne dans le pieu de la belle. Sa revanche de sans-grade vint, à sa grande surprise, du jeune flic, ironique : « Si monsieur le divisionnaire envisage de prendre ma place je me permets de lui signaler que le pas de porte est gratiné. Sans doute très au-dessus de ses émoluments de fonctionnaire… » L’élégant se cabrait sous l’insulte avant de lâcher entre ses dents acérées : « sale petit con, je te casserai… »