C'est le titre d'un petit opus (99 pages format 14x18) qui a été élu par le magazine Lire MEILLEUR ESSAI 2007, il est sous-titré : "Comment le modèle social français s'autodétruit" il est signé par Yann Algan et Pierre Cahuc du Centre Pour La Recherche et ses Applications dirigé par un économiste dont j'apprécie les analyses Daniel Cohen. Même si je ne suis pas très amateur de grandes enquêtes internationales menées par des officines spécialisées, les grandes tendances qu'elles dégagent sont significatives et donnent une grille d'analyse intéressante. Pour avoir vécu en direct, les mains dans le cambouis, le blocage des routes par les camionneurs, le "siège" de Paris par les tracteurs de la "Coordination Rurale", les exactions en tout genre des CAV, des producteurs de pomme de terre bretons, des éleveurs de moutons contre les camions anglais... Je partage largement le diagnostic avancé par les auteurs dans la seconde partie de l'ouvrage. Comme à l'accoutumé je vous livre des extraits de l'introduction pour vous inciter à lire l'ensemble.
"Depuis plus de vingt ans, des enquêtes menées dans tous les pays développés montrent que les Français, plus souvent que les habitants des autres pays, se méfient de leurs concitoyens, des pouvoirs publics et du marché (...)
Comment expliquer un tel déficit de confiance en France ? Quelles en sont les conséquences ?
La première partie de cet opuscule montre que les Français ne se méfient pas seulement des riches et des institutions censées représenter leurs intérêts (...) Cette défiance va de pair avec un incivisme plus fréquent dans de nombreux domaines essentiels au bon fonctionnement de l'économie et de l'Etat-providence. Ainsi, les Français considèrent plus fréquemment que les habitants de la plupart des pays riches qu'il peut être acceptable de resquiller dans les transports publics, de ne pas payer les impôts ou de demander indûment des aides publiques. Des expériences montrent qu'un portefeuille égaré à Paris a moins de chance d'être rapporté à son propriétaire que dans la plupart des autres capitales des pays industrialisés. Les entreprises françaises installées à l'étranger recourent plus souvent que nombre de leurs concurrents à des tentatives de corruption pour obtenir des parts de marché (...)
Ces attitudes ne sont pas nouvelles : défiance mutuelle et incivisme persistent depuis plusieurs décennies. Néanmoins, nous montrons dans cette partie que ces attitudes ne constituent pas un trait immuable. L'étude de l'évolution des attitudes sociales sur une longue période révèle que le civisme et la confiance mutuelle se sont dégradés après la Seconde Guerre mondiale.
Pour quelles raisons la société mise en place après la guerre nous a-t-elle amenés à nous défier les uns des autres ?
Dans la seconde partie, nous soutenons que le déficit de confiance des Français est intimement lié au fonctionnement de leur Etat et de leur modèle social.
Après la Seconde Guerre mondiale, le modèle social français s'est construit sur des bases corporatiste et étatiste.
Le corporatisme, qui consiste à octroyer des droits sociaux associés au statut et à la profession de chacun, segmente la société et opacifie les relations sociales, ce qui favorise la recherche de la rente, entretien la suspicion mutuelle et mine les mécanismes de solidarité. L'étatisme, qui consiste à réglementer l'ensemble des domaines de la société civile dans leurs moindres détails, vide le dialogue social de son contenu, entrave la concurrence et favorise la corruption. Le mélange de corporatisme et d'étatisme est au coeur de la défiance actuelle et des dysfonctionnements du modèle social.
La faiblesse du dialogue social et le manque de confiance envers le marché rendent nécessaire l'intervention de l'Etat. Mais selon une logique dirigiste et corporatiste bien établie, l'intervention de ce dernier consiste généralement à accorder des avantages particuliers aux groupes qui en font la demande, souvent au détriment du dialogue social, du respect des règles de la concurrence et de la transparence des mécanismes de solidarité. Ce type d'intervention ne peut qu'entretenir la défiance mutuelle et favoriser, en retour, l'expansion du corporatisme et de l'étatisme.
Ce cercle vicieux mine l'efficacité et l'équité du fonctionnement de notre économie. En effet, parce que la confiance mutuelle et le civisme sont essentiels au bon fonctionnement des échanges marchands, le déficit de confiance des Français est logiquement associé à la peur de la concurrence. Cette peur suscite des demandes de restriction de la concurrence aboutissant à l'institution de barrières à l'entrée règlementaires qui créent des rentes de situation favorisant la corruption et, en retour, la défiance mutuelle (...)