Comme je vous l'indiquais dans ma chronique d'hier j'ai connu Philippe Manière au temps où, entre autre, il animait une tranche horaire sur BFM. Maintenant il est directeur-général de l'Institut Montaigne, un think tank créé par Claude Bébéar, chroniqueur à Enjeux-Les Echos et sur BFM. Bourguignon d'origine, amateur de bon vin, homme d'influence, je me devais de le soumettre aux 3 questions de Vin&Cie l'espace de liberté. Merci Philippe Manière de votre confiance et de votre fidélité à un petit artisan du vin.
1erQuestion: Gérard Mermet écrit dans « Révolution ! Pour en finir avec les illusions françaises » que la filière vin française réunit « les principaux ingrédients du « mal français » : arrogance de certains producteurs, atomisation du secteur, contraintes imposées par les pouvoirs publics, incapacité à intégrer l’évolution des modes de vie et des mentalités, désintérêt du consommateur… Pour lui, « l’exception viticole », comme les autres exceptions à la française, est une illusion.
Qu’en pensez-vous Philippe Manière ? Le vin produit culturel de petit vigneron, les grands médias ne sont-ils pas aussi très responsables de la propagation de cette image d’Epinal rassurante ?
Réponse de Philippe Manière : Je crois que ce nous souffrons effectivement en France, en matière œnologique et viticole, d’une certaine myopie et d’une certaine arrogance – de ce double point de vue, il n’est pas faux que le vin concentre en quelque sorte le « mal français »… Résumons : nous avions une présence écrasante à l’international, nous avions un boulevard avec la mondialisation qui crée de nouvelles générations de consommateurs, et bien le résultat, c’est que nous reculons. Faute de qualité ou de savoir-faire ? Non ! Faute de marketing, comme c’est souvent le cas en France. Nous n’avons pas intégré une nouvelle donnée fondamentale : les nouveaux consommateurs, qu’il s’agisse d’Européens qui découvrent le plaisir du vin ou de nouveaux venus sur ce marché (asiatiques etc.) ont besoin de reconnaissance statutaire – autrement dit, de marques. Ce n’est pas par hasard si les grands triomphateurs de la mondialisation, ce sont les Vuitton et autres BMW ! Or, notre offre est dispersée et impénétrable sauf au connaisseur. Cela nous condamne à manquer une grande partie des nouveaux marchés et même à perdre des clients qui étaient résignés à la complexité française lorsque nous étions en quasi-monopole mais qui, aujourd’hui, basculent en grand nombre vers des marques (Jacob’s Creek par exemple) ou vers des vins de cépage souvent venus d’ailleurs, faciles dans tous les sens du terme – faciles à boire parce qu’ils sont gratifiants même si on ne s’y connaît pas, faciles à reconnaître et à faire reconnaître par les autres si on veut impressionner. Si nous ne nous adaptons pas, si nous n’adaptons pas notre réglementation, nous ne survivrons que comme survivent certains chapeliers ou gantiers : en vendant de petites quantités à des consommateurs connaisseurs mais vieillissants et quasi-marginaux.
2ième Question : Chez tous nos concurrents, la cohabitation d’une viticulture « modèle français » et d’une Wine Industrie, est assumée, revendiquée même. Pourquoi, Philippe Manière, y compris chez les décideurs économiques, financiers et politiques, en France, où nous avons le plus grand vignoble généraliste du monde, où le modèle champenois : production de raisins, assemblage, grandes marques, est le plus efficient, où le secteur, même s’il connaît des difficultés à l’export, reste un contributeur important, considère-t-on les entreprises du vin, soit comme « des danseuses » pour les grands vins, soit comme des marchands de vin pour les autres ? Pourquoi, notre grand Sud, Californie à la française, n’intéresse-t-il pas les investisseurs ? Le long terme n’a plus la cote ?
Réponse de Philippe Manière : Je dois dire que votre question m’étonne. Est-ce faute d’information de ma part? Il me semblait que le Sud de la France, justement, était plus ouvert que les autres grandes régions viticoles à ce modèle alternatif. Mais sans doute tout est-il relatif… Votre question met le doigt sur un problème réel, qui est la frilosité des investisseurs. Mais, pour être honnête, cette frilosité est partiellement excusable compte tenu de l’environnement culturel (allez donc voir comment les petits exploitants accueillent trop souvent, y compris dans le sud, les multinationales ou tout ce qui peut être décrit par ce vocable, fût-ce de mauvaise foi…) et par l’environnement réglementaire. Encore une fois, une entreprise vitivinicole qui, aujourd’hui, veut faire une percée, a besoin de s’appuyer sur une homogénéité du produit dans le temps supposant le mélange des millésimes, sur des marques, sur des cépages explicites – tout cela étant presque impossible sous l’empire de la législation actuelle. Il est donc hélas compréhensible que ceux qui veulent gagner de l’argent dans le vin essaient de le faire… ailleurs que chez nous.
3ième Question : Philippe Manière, laissons de côté les propos sérieux pour maintenant donner libre court à l’amateur de vin que vous êtes. Vos origines bourguignonnes ont-elles eut une importance dans votre formation au goût du vin ? Qu’aimez-vous ? Avez-vous une cave ? Je ne sais. Vous avez carte blanche, donnez-nous envie…
Réponse de Philippe Manière : Je confesse une turpitude : je suis biaisé parce que bourguignon… J’ai envie de dire que, jeune, je suis tombé dans le pinot noir et le chardonnay – qui, aujourd’hui encore, savent me procurer mes plus grands plaisirs de dégustation. Autant vous dire que les préjugés, dans ma famille et mon entourage, étaient solides contre les autres origines ! J’ai heureusement eu la chance de voyager aux Etats-Unis à 18 ans en faisant un long stop chez l’un des plus grands négociants de Boston (il était alors le principal acheteur à Beaune !) qui m’a fait comprendre que le Nouveau Monde avait aussi de remarquables vins – je pense surtout à leurs meilleurs chardonnay, sur le pinot noir, j’étais et demeure plus sceptique. Mais on ne sortait pas de mes cépages d’ « enfance »… Un peu plus tard, je suis arrivé à Paris pour mes études et pour y travailler et là, changement d’univers : le bordeaux était ultra-dominant… Je me suis fait une violence - qui s’est bientôt avérée une bien douce violence ! - et me suis converti à ces goûts nouveaux pour moi. (Nouveaux parce que, imaginez-vous que, en Bourgogne, le bordeaux est le vin que l’on offre à qui est un peu souffrant et pas en état de boire du « vrai » vin…).
Aujourd’hui, je demeure d’abord un fan des bourgognes, même si je peste régulièrement contre leur irrégularité, leur imprévisibilité. Tout ce qui se trouve autour de Chassagne en blanc et de Gevrey-Chambertin en rouge a mes suffrages– sans parler des Marsannay, à mon avis rois des rosés. Dans cette catégorie, j’apprécie aussi certains chardonnays d’autres provenances en France. Je pense au chardonnay d’Ardèche de Latour, un… bourguignon. Et au pinot noir du Jura, très belle région de production méconnue – quelle richesse de cépages ! – en particulier ceux de Rollet. Hors pinot noir, en Jura, le poulsard et surtout le trousseau m’ont toujours séduit par leur franchise et leur caractère.
J’aime aussi, en blanc, les sauternes – Guiraud, Rayne-Vignaud, Lafaurie-Peyraguet… - et les Côtes du Jura qui mêlent si délicieusement chardonnay et savagnin (toujours chez Rollet). Je ne suis pas très fan des blancs secs de bordeaux et déteste tout ce qui est sauvignon.
En rouge, hors bourgogne, les bordeaux que j’aime sont d’abord les Moulis et les Margaux. J’ai des souvenirs exquis de Chasse-Spleen et de Ruat-Petit-Poujeaux. Mais Cos d’Estournel, Calon-Ségur ou Pez sont aussi associés, dans mon esprit, à des souvenirs très forts. Ne me parlez pas, en revanche, des « rouges frais » - je déteste TOUS les gamays ! Sauf certains Alsace – et l’on revient au pinot noir…
Enfin, j’ai découvert il y a une dizaine d’années le plaisir des Côtes du Rhône bien vinifiés – Guigal en tête – et ne m’en suis pas lassé, ni en blanc, ni en rouge. Je suis plus dubitatif sur la production du Languedoc et de Provence, mais de moins en moins au fil des bonnes surprises.
J’ai une cave assez modeste, 150 bouteilles je pense, qui tourne trop vite – je ne suis pas assez riche pour financer une rotation lente… On y trouve – trahison de ma part ou maturité ?... - 70% de Bordeaux, le reste en Bourgogne et en Jura avec une pointe de Côtes- du-Rhône.