Bourrassaud, compatissant, leur suggérait de dactylographier compagne entre guillemets, ce qui, ajoutait-il, traduirait leurs doutes et leur permettrait par la suite, au vu de mes déclarations, de garder la possibilité d’utiliser une autre dénomination qui collerait mieux à la réalité de ma situation. Même s’ils continuaient de penser que vraiment il y avait quelque chose de pourri dans la police de France, après avoir échangé des regards muets, faute de mieux le préposé au PV se résignait à suivre la proposition du commissaire. Je reprenais le fil de ma déposition sur un tempo en rapport avec les capacités dactylographiques du gendarme Gendron : « Sylvie Brejoux, que je n’avais pas vu ni entendu depuis plus d’une semaine, m’appelait au téléphone. Elle était en proie à une grande émotion. Paniquait. Ses propos confus, entrecoupés de sanglots et de « je ne comprends pas ce qui s’est passé » ne me permettaient pas, justement, de comprendre, ce qui la plongeait – Sylvie est une femme de tête, pas une pleurnicheuse – dans un tel état. Pour couper court, pressentant que le temps était conté, je la pressais de me dire où elle était. Sa réponse « je ne sais pas » me sidérait. « Comment tu ne sais pas, bordel de merde, tu n’es pas tombée du ciel ? »
- Presque…
- Tu te fous de ma gueule Sylvie…
- Non, non, tout ce dont je me souviens c’est que le jet d’Henri a atterri au Bourget vers minuit. J’étais tellement fatiguée que je me suis endormie dans la voiture. Après je ne sais plus jusqu’au moment où je me suis réveillée dans une chambre que je ne connaissais pas…
- Tu m’appelles d’où ?
- De la cuisine…
- Tu es seule ?
- Oui.
- Ton Henri il est où ?
- Je ne sais pas…
- Comme tu sembles avoir un peu repris tes esprits pourquoi es-tu si affolée ?
- C’est un vrai carnage…
- Où ?
- Dans le salon, c’est horrible, j’ai peur…
- D’accord Sylvie je comprends mais si tu veux que j’intervienne il faut que je te localise. Là où te trouves c’est quoi au juste : un appartement, une maison à la campagne…
- Non c’est un château dans un grand parc boisé.
- Tu n’y étais jamais venu ?
- Jamais !
- A ton avis ce château appartient à ton Henri ?
- Je crois.
- Pourquoi tu le crois ?
- Parce que la penderie de la chambre où j’ai dormis est pleine de ses costumes.
- Tu n’as pas d’autres indications qui pourraient me mettre sur ta piste ?
- Si, la voiture qui est venue nous chercher au Bourget, une grosse Mercédès noire, que je n’avais jamais vue auparavant, était immatriculée dans l’Oise. J’ai toujours su les numéros de départements par cœur…
- Bien Sylvie on progresse. Rien d’autre…
- Si, c’est Dragan qui conduisait et maintenant plus j’y pense plus je suis sûre qu’on nous a drogué…
- Qui on ? Qui nous ?
- Hortz qui nous a servi, à Henri et à moi, du champagne dans la voiture.
- C’est pour ça que tu ne te souviens de rien…
- Oui, sauf qu’avant de sombrer j’ai entraperçu une pancarte avec une direction : Survilliers…
- D’accord Sylvie, maintenant tu vas retourner dans ta chambre. Te barricader et m’attendre. Est-ce qu’il y a un poste téléphonique dans cette chambre ?
- Oui.
- Note ce numéro, si une menace se présentait tu appelles. On me préviendra dans la voiture… D’accord !
- Oui. J’ai peur…
- Je fais au plus vite. Si le château appartient à ton Henri je vais le localiser très vite et dans une petite heure je suis là…
- Merci. Tout ça va te créer beaucoup d’ennuis…
- T’en fais pas, l’important c’est de te sortir de ce merdier…
- Tu sais Benoît, avec Henri, nous revenions du Maroc…
- Et alors ?
- Les soutes de l’avion étaient pleines de hachich…
- Ton Henri savait ?
- Non !
- Une combine de tes mentors…
- Eux ce ne sont que des seconds couteaux, au-dessus c’est du beau monde et c’est pour ça que j’ai peur Benoît…
- Ton carnage est sûrement un règlement de comptes entre petits voyous s’ils t’ont épargné c’est que tu n’es pas une menace pour eux Sylvie. Allez, trêve de parlotte, fais ce que je t’ai dit, j’arrive au plus vite…