Les bistrots sont " des endroits où le quotidien s'égrène doucement au rythme de l'horloge biologique d'un quartier, du café de six heurs et de la découverte des nouvelles dans le canard plié derrière le comptoir, près du compteur du téléphone, aux premiers blancs secs lorsque le bourguignon ou la blanquette commencent à mijoter en cuisine. Pour les apéros, par strates successives, les menus ouvriers à midi, le plat du jour, le digestif de quinze heures, l'accalmie de quatre heures. Les cafés, les chocolats à la sortie de l'école. Et cette longue zône de flou du soir qui s'éternise pour ceux qui, par solitude ou par goût, repoussent à plus tard le retour vers chez eux.
Voilà ce qu'est un bistrot. Un concentré de l'âme d'un quartier."
Extrait de "Au vrai zinc parisien" de François Thomazeau et Sylvain Ageorges.
Les post-modernes vont ricaner sur le thème : nostalgie quand tu nous tiens ; les paragons de la vertu hygiéniste vont me vilipender pour apologie des piliers de bar ; et pourtant, moi qui ne suit ni un familier des bords de zinc, ni un fervent des brèves de comptoir chères à JM Gourio, j'affirme que les bistrots, certains tout au moins, sont les derniers refuges d'une forme simple de convivialité populaire et, sans nier, que certains s'y alcoolisent, tel le célèbre et médiatique Hervé Chabalier et ses petits blancs matinaux, la responsabilité première n'en revient pas au bistrotier mais à l'intéressé ou aux intéressés. Pour moi ce ne sont ni les bistrots, ni les flacons qui fabriquent des pochtrons, alors très chers défenseurs de notre santé ne vous trompez pas de combat, cessez de nous emprisonner dans vos froides normes, boire en solitaire ne vaut pas mieux que boire au bord d'un bar, sauf qu'en ce lieu subsiste encore un peu de chaleur humaine. La misère sociale, la misère tout court, la solitude, le stress, l'indifférence, tout un faisceau de causes parfois génétiques, restent le terreau de l'alcoolisme et, boire pour boire, boire pour oublier, des vies brisées, ne peuvent nous être opposés. De grâce cessons ces combats d'un autre âge, nous avons mieux à faire pour faire reculer un fléau que de nous stigmatiser.
Fermez le ban ! J'en reviens au charme désuet des bistrots pour vous conter que, dimanche dernier, dans le quartier du Marais où des hordes de chalands et de touristes, soldes aidant, déferlaient, l'heure s'avançant, l'idée de casser une petite graine s'imposait. Aux alentours rien qu'une cotriade de restaus tendances briqués, bourrés, agités, avec l'absolue certitude d'un serveur qui vous balance du réchauffé avec l'envie de vous voir décamper vite fait. Que faire ? Se replier en bon ordre sur une valeur sûre avec le secret espoir que les modeux, les bobos et autres calamités ne l'aient pas annexée. La rue Vieille-du-Temple grouille, mon estomac aussi. Mon espoir secret : que la disposition du lieu, si particulière, protège mon hâvre de sérénité. Je m'explique : lorsqu'on pousse la porte de ce bistrot on tombe, nez à nez, avec un bar en U et, si l'on ne pousse pas plus avant, si l'on n'ôse pas se glisser entre le mur et les clients accoudés au bar, on a de fortes chances de ne pas découvrir la petite salle de restaurant nichée derrière le présentoir à bouteilles. Suspens insoutenable ! Bonjour. Nous y voilà, le garçon souriant et avenant nous précède. Nous sommes au "Petit Fer à cheval", 30 rue Vieille-du-Temple dans le 4e. La déco gentiment déco, le manger : potage au cresson, tranche de gigot grâtin dauphinois, île flottante, bon, le pichet de Menetou-Salon sympathique, les italiens de la table d'à côté repus, c'est comme un dimanche dans un petit bout du vieux Paris. Je vous embrasse et vous envoie une carte postale.
