L'avantage avec les nuls, des nuls en dégustation bien sûr, donc des consommateurs ordinaires, normaux, banaux, majoritaires, c'est qu'ils n'ont pas d'à priori ou peu, ne sont pas inféodés à une chapelle, ne se prennent par le choux avec un quelconque rituel, et même s'ils ont quelques préjugés ceux-ci restent dans le domaine des lieux communs classiques, type brèves de comptoir ou je répète les conneries que papa m'a dit, sans incidence réelle sur leur opinion.
J'ai donc convoqué pour déguster trois boutanches de vin à la mode : un Simonutti (l'homme du vin de bagnole), la Buvette de Castelmaure et la Démarrante, un jury improbable dont je tairai la composition mais dont je ne faisais pas parti parce qu'il fallait bien quelqu'un pour organiser et servir, et que moi, comme Gérald Ford je ne sais pas faire deux ou trois choses à la fois, servir, prendre des notes sur les propos tenus par le jury et déguster.
Cette séance libre n'obéissait à aucune règle préétablie, chaque participant pouvant imposer aux autres ce que bon lui semble. Ainsi, la part féminine a d'emblée exigé que nous pesions les bouteilles au motif que ce sont les nanas qui se trimballent les courses pas leurs incapables de maris, compagnons ou toute autre appellation. Les mecs, n'ont pas mouffeté. Ca commençait très fort !
FICHE TECHNIQUE:
- La Buvette de Castelmaure : Vin de table de France 13°5, vin nouveau, 4,80 euros* 1kg053 Coopérative d'Embres&Castelmaure 11360 ;
- La démarrante : Vin de pays de la vallée du paradis 2006 12°5, 9,90 euros* et 1kg305 Maxime Magnon Villeneuve des Corbières 11360 ;
- V Table : Vin de Table 12°, 12 euros* et 1kg325 P.Simonutti la Galetière Mesland 41... ;
à noter que les prix n'ont pas été communiqué aux membres du jury avant qu'ils ne dégustent, et que les deux premiers vins proviennent de chez Lavinia, le dernier de la Cave des Papilles rue Daguerre 14e.
Avant ouverture, le jury a apprécié l'habillage des bouteilles et, oh surprise une certaine unanimité s'est dégagée pour reconnaître au flacon un peu rablé de la Buvette, avec son étiquette très écrite, un charme désuet, sympathique, même si les filles ont jugé le vocabulaire parfois un peu cul cul la praline. La démarrante les a laissé indifférents. Quant à la Simonutti, comme le dire sans vexer, ils l'ont trouvé faussement je m'en foutiste, comme une façon de dire à des ducons comme eux : puisque j'suis connu par les vrais connaisseurs pas besoin de vraiment faire une étiquette lisible. Mais bon, tout ça n'a guère d'importance puisque mes lascars ont tous affirmé, même si je ne suis pas derrière eux quand ils le font, qu'ils n'achetaient pas du vin sur la gueule de l'étiquette et que dans le cas présent, aucune des trois ne cassait trois pattes à un canard.
Dans la cuisine, hors mes nuls, j'ai commencé par ouvrir la Buvette, car j'avais décidé de procéder dans l'ordre croissant de prix, empli les verres puis j'ai posé le plateau devant eux et je les ai laissé à eux-mêmes. Silence total jusqu'au moment où une fille a dit " comme tu as dit que c'était à l'aveugle je croyais qu'on allait me bander les yeux..." Les mecs l'ont vanné. Vexée en contemplant son verre pour bien montrer qu'elle allait profiter de l'acuité de ses yeux elle a balancé " il est rouge garance..." ce qui a eut pour effet de renvoyer les mâles dans leurs 18 mètres. Pour enfoncer le clou en pouffant elle a surenchéri, rouge culotte de zouave quoi..." La gente masculine a soupiré dans le registre qu'est-ce-qui faut pas entendre. Pendant cette épisode, une bouffeuse de biscottes complètes, le nez dans le verre, a déclaré " il sent le vin..." et là, surprise les mecs ont acquiescé. L'un d'eux, doctement a résumé la situation " rouge vif, nez franc mais sans beaucoup d'arômes..." Après dégustation sans rejet du liquide j'ai noté dans le désordre : sympathique, pétulant, acidulé, pétulant, gentillet, simplet... A la fin l'unanimité s'est faite pour dire que pour eux ça ferait un chouette vin de pique-nique aux beaux jours.
Ensuite j'ai ouvert la démarrante, même procédure. Unanimité sur la couleur : un beau rouge rubis mais pour le nez le vocabulaire manquait donc hésitation. L'un des garçons s'est risqué " il sent la garrigue " s'attirant de la part des filles des ricanements " t'as vraiment beaucoup d'imagination..." Pour s'en sortir la spécialiste du nez dans le verre a déclaré " on s'en fout de ce qu'il sent, on est là pour le boire, non..." J'ai rectifié " pour le déguster " J'ai reçu une volée de bois vert sur le thème " tu ne vas pas nous obliger à cracher dans ce seau " Je n'ai pas insisté et j'ai attendu leurs commentaires. Les filles le trouvaient craquant et croquant, comme un mec bien foutu, pas le genre costaud bellâtre mais un type avec qui on a envie de sortir. Du côté masculin, face à ce descriptif peu conventionnel, on parla de belle matière, bien vinifiée, qui vous laisse une bouche agréable. Bref, tous ensemble ils ont décidé que je devais réalimenter leur godet. Je refusai en estimant qu'ils devaient garder leur lucidité intacte pour goûter le dernier impétrant. Ils m'ont traité de rabat-joie.
Dernier acte, je débouchonne le Simonutti. Remarque générale, les bouchons ne brillent pas par leur qualité, au prix unitaire du flacon nos chers vignerons pourraient faire un petit effort, ce serait la moindre des choses. La robe du Simonutti est superbe, un grenat somptueux. Une fille fait remarquer que pour elle ce vin lui donne l'image qu'elle imaginait du vin. Tous restent un long moment à le contempler sous les raies du soleil et, comme s'ils s'étaient donnés le mot les voilà tous qui s'y collent le nez. On n'entend pas une mouche voler. Les yeux brillants une fille murmure, extatique, " pour lui, le mot bouquet prend tout son sens, c'est comme si on venait de m'offrir une brassée de roses de jardin..." Les commentaires crépitent : capiteux, sensuel, désirable, chatoyant, soyeux... Je les sens hésitants. Tant de promesses olfactives, ils ont peur de déchanter. Les filles toujours plus risque-tout que les garçons se mettent à laper ponctuant leur audace par des ah de satisfaction. Les types s'y mettent aussi avec un brin de cérémonie. Unanimité des louanges : divin pour l'un, diabolique pour un autre, c'est du nectar pur fruit plein d'ampleur avec juste ce qu'il faut de rondeurs avec " des poignées d'amour !" glousse l'une des nénettes. Ils votent la mention avec les félicitations du jury et, avec anxiété, s'inquiètent "il t'en reste ?". Je les rassure et je vais leur préparer un petit en cas.
Quand je reviens avec mon frichti et les fonds de bouteille, je leur donne l'ordre de passage et les prix. Pour la Buvette, d'après eux faut voir combien il est vendu à la coop de Castelmaure car 4,80 chez Lavinia c'est un peu cher pour un pique-nique. Du côté de la Démarrante, une discussion s'instaure, certes c'est bon, agréable, très j'accompagne une petite bouffe entre amis, mais à presque 10 euros le flacon ça alourdi le budget des copines. Enfin, le Simonutti, là, unanimité, pour cette petite merveille, tous sont prêt à casser la tirelire. Les filles sont les plus enthousiastes, leur seul regret c'est la présentation de la bouteille, son étiquette faussement j'm'en foutiste qui donne l'impression d'un cahier d'écolier de cancre est trop décalée avec l'élégance du vin. J'explique ce que je sais du sieur Simonutti. Elles ricanent "on s'en tamponne la coquillette de tes histoires, nous pour nous séduire faut d'abord nous faire la cour et là, il se la joue trop ton vigneron. Si maintenant pour acheter une super boutanche faut en plus se taper le baratin du vendeur on ne va pas s'en sortir..." La suite de nos conversations n'ayant encore moins d'intérêt que tout ce que je viens de relater ci-dessus je clos ce premier chapitre de dégustation par des Nuls et vous souhaite une bonne journée...